Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/219

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Autant qu’il en pouvait juger, — non, Svidrigaïloff n’y était pas allé ! Raskolnikoff l’aurait juré. En repassant dans son esprit toutes les circonstances de la visite de Porphyre, il arrivait toujours à la même conclusion négative.

Mais si Svidrigaïloff n’était pas encore allé chez le juge d’instruction, est-ce qu’il n’irait pas ?

Sur ce point encore, le jeune homme était porté à se répondre négativement. Pourquoi ? Il n’aurait pu donner les raisons de sa manière de voir, et lors même qu’il eût pu se l’expliquer, il ne se serait pas cassé la tête là-dessus. Tout cela le tracassait et en même temps le laissait à peu près indifférent. Chose étrange, presque incroyable : si critique que fût sa situation actuelle, Raskolnikoff n’en avait qu’un assez faible souci ; ce qui le tourmentait, c’était une question bien plus importante, une question qui l’intéressait personnellement, mais qui n’était pas celle-là. En outre, il éprouvait une immense lassitude morale, quoiqu’il fût alors plus en état de raisonner que les jours précédents.

Après tant de combats déjà livrés, fallait-il encore engager une nouvelle lutte pour triompher de ces misérables difficultés ? Était-ce la peine, par exemple, d’aller faire le siège de Svidrigaïloff, d’essayer de le circonvenir, dans la crainte qu’il ne se rendît chez le juge d’instruction ?

Oh ! que tout cela l’énervait !

Pourtant il avait hâte de voir Svidrigaïloff ; attendait-il de lui quelque chose de nouveau, un conseil, un moyen de se tirer d’affaire ? Les noyés se raccrochent à un fétu de paille ! Était-ce la destinée ou l’instinct qui poussait ces deux hommes l’un vers l’autre ? Peut-être Raskolnikoff faisait-il cette démarche simplement parce qu’il ne savait plus à quel saint se vouer ? Peut-être avait-il besoin d’un autre que de Svidrigaïloff, et prenait-il ce dernier comme pis aller ? Sonia ? Mais pourquoi maintenant irait-il chez Sonia ? Pour la faire pleurer encore ? D’ailleurs, Sonia l’effrayait ; Sonia, c’était