Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/225

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— Vous savez qu’on me suit ? demanda Raskolnikoff en attachant un regard sondeur sur Svidrigaïloff.

— Non, je n’en sais rien, reprit celui-ci d’un air étonné.

— Eh bien ! alors ne parlons plus de moi, grommela en fronçant le sourcil Raskolnikoff.

— Soit, nous ne parlerons plus de vous.

— Répondez plutôt à ceci : s’il est vrai qu’à deux reprises vous m’ayez indiqué ce traktir comme un endroit où je pouvais vous rencontrer, pourquoi donc tout à l’heure, quand j’ai levé les yeux vers la fenêtre, vous êtes-vous caché et avez-vous essayé de vous esquiver ? J’ai fort bien remarqué cela.

— Hé ! hé ! Mais pourquoi l’autre jour, quand je suis entré dans votre chambre, avez-vous fait semblant de dormir, quoique vous fussiez parfaitement éveillé ? J’ai fort bien remarqué cela.

— Je pouvais avoir… des raisons… vous le savez vous-même.

— Et moi, je pouvais avoir aussi mes raisons, bien que vous ne les connaissiez pas.

Depuis une minute, Raskolnilnoff considérait attentivement le visage de son interlocuteur. Cette figure lui causait toujours un nouvel étonnement. Quoique belle, elle avait quelque chose de profondément antipathique. On l’eût prise pour un masque : le teint était trop frais, les lèvres trop vermeilles, la barbe trop blonde, les cheveux trop épais, les yeux trop bleus et leur regard trop fixe. Svidrigaïloff portait un élégant costume d’été ; son linge était d’une blancheur et d’une finesse irréprochables. Un gros anneau rehaussé d’une pierre de prix se jouait à l’un de ses doigts.

— Entre nous les tergiversations ne sont plus de mise, dit brusquement le jeune homme : quoique vous soyez peut-être en mesure de me faire beaucoup de mal si vous avez envie de me nuire, je vais vous parler franc et net. Sachez