— Eh, Rodia, on t’a encore troublé l’esprit !… Mais qu’est-ce qu’il t’a dit ? Pourquoi est-il venu chez toi ?
Raskolnikoff ne répondit pas, Razoumikhine réfléchit un instant.
— Allons, écoute mon compte rendu, commença-t-il. J’ai passé chez toi, tu dormais. Ensuite nous avons dîné, après quoi je suis allé voir Porphyre. Zamétoff était encore chez lui. J’ai voulu commencer et n’ai pas été heureux dans mon début. Je ne pouvais jamais entrer en matière. Ils avaient toujours l’air de ne pas comprendre, sans, d’ailleurs, témoigner aucun embarras. J’emmène Porphyre près de la fenêtre et je me mets à lui parler, mais je ne réussis pas mieux. Il regarde d’un côté, et moi de l’autre. À la fin, j’approche mon poing de sa figure, et je lui dis que je vais le démolir. Il se contente de me regarder en silence. Je crache et je m’en vais, voilà tout. C’est fort bête. Avec Zamétoff je n’ai pas échangé un mot : Je m’en voulais fort de ma stupide conduite, quand une réflexion soudaine m’a consolé ; en descendant l’escalier, je me suis dit : Est-ce la peine pour toi et pour moi de nous préoccuper ainsi ? Évidemment, si quelque danger te menaçait, ce serait autre chose. Mais, dans l’espèce, qu’as-tu à craindre ? Tu n’es pas coupable, donc tu n’as pas à t’inquiéter d’eux. Plus tard nous nous moquerons de leur bévue, et, à ta place, moi, je me ferais un plaisir de les mystifier. Quelle honte ce sera pour eux de s’être si grossièrement trompés ! Crache là-dessus ; ensuite, on pourra aussi les cogner un peu ; mais, pour le moment, il n’y a qu’à rire de leur sottise !
— C’est juste ! répondit Raskolnikoff. « Mais que diras-tu demain ? » fit-il à part soi. Chose étrange, jusqu’alors il n’avait pas une seule fois songé à se demander : « Que pensera Razoumikhine quand il saura que je suis coupable ? » À cette idée, il regarda fixement son ami. Le récit de la visite à Porphyre l’avait fort peu intéressé : d’autres objets le préoccupaient en ce moment.