Dans le corridor ils rencontrèrent Loujine : il était arrivé à huit heures précises, mais il avait perdu du temps à chercher le numéro, de sorte que tous trois entrèrent ensemble, sans toutefois se regarder ni se saluer. Les jeunes gens se montrèrent les premiers ; Pierre Pétrovitch, toujours fidèle observateur des convenances, s’attarda un moment dans l’antichambre pour ôter son paletot. Pulchérie Alexandrovna s’avança aussitôt au-devant de lui. Dounia et Raskolnikoff se souhaitèrent le bonjour.
En entrant, Pierre Pétrovitch salua les dames d’une façon assez aimable, quoique avec une gravité renforcée. Du reste, il avait l’air quelque peu déconcerté. Pulchérie Alexandrovna, qui semblait gênée, elle aussi, s’empressa de faire asseoir tout son monde autour de la table sur laquelle se trouvait le samovar. Dounia et Loujine prirent place en face l’un de l’autre aux deux bouts de la table. Razoumikhine et Raskolnikoff s’assirent en face de Pulchérie Alexandrovna : le premier à côté de Loujine, le second près de sa sœur.
Il y eut un instant de silence. Pierre Pétrovitch tira lentement un mouchoir de batiste parfumé et se moucha. Ses manières étaient celles d’un homme bienveillant sans doute, mais un peu blessé dans sa dignité et fermement résolu à exiger des explications. Dans l’antichambre, au moment d’ôter son paletot, il s’était déjà demandé si le meilleur châtiment à infliger aux deux dames ne serait pas de se retirer immédiatement. Toutefois, il n’avait pas donné suite à cette idée, car il aimait les situations nettes ; or, ici, un point demeurait obscur pour lui. Puisqu’on avait si ouvertement bravé sa défense, il devait y avoir une raison à cela. Quelle raison ? Mieux valait tirer d’abord la chose au clair : il aurait toujours le temps de sévir, et la punition, pour être retardée, n’en serait pas moins sûre.
— J’espère que votre voyage s’est bien passé ? demanda-t-il par convenance à Pulchérie Alexandrovna.