Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/234

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ceux du mari. C’est, on peut le dire, la nature et la vérité qui parlent dans cette enfant ! J’ai causé deux fois avec elle, la fillette n’est pas sotte du tout ; elle a une façon de me regarder à la dérobée qui incendie tout mon être. Sa physionomie ressemble un peu à celle de la Madone Sixtine. Vous avez remarqué l’expression fantastique que Raphaël a donnée à cette tête de vierge ? Il y a quelque chose de cela. Dès le lendemain des fiançailles, j’ai apporté à ma future pour quinze cents roubles de cadeaux : des diamants, des perles, un nécessaire de toilette en argent ; le petit visage de la madone rayonnait. Hier, je ne me suis pas gêné pour la prendre sur mes genoux, — elle a rougi, et j’ai vu dans ses yeux de petites larmes qu’elle essayait de cacher. On nous a laissés seuls ensemble ; alors elle m’a jeté ses bras autour du cou et en m’embrassant m’a juré qu’elle serait pour moi une épouse bonne, obéissante et fidèle, qu’elle me rendrait heureux, qu’elle me consacrerait tous les instants de sa vie, et qu’en retour elle ne voulait de moi que mon estime, rien de plus : « Je n’ai pas besoin de cadeaux ! » m’a-t-elle dit. Entendre un petit ange, de seize ans, les joues colorées par une pudeur virginale, vous faire une semblable déclaration avec des larmes d’enthousiasme dans les yeux, convenez-en vous-même, n’est-ce pas délicieux ?… Allons, écoutez : je vous conduirai chez ma fiancée… seulement je ne peux pas vous la montrer tout de suite !

— En un mot, cette monstrueuse différence d’âge aiguillonne votre sensualité ! Est-il possible que vous pensiez sérieusement à contracter un pareil mariage ?

— Quel austère moraliste ! ricana Svidrigaïloff. Où la vertu va-t-elle se nicher ? Ha ! ha ! Savez-vous que vous m’amusez beaucoup avec vos exclamations indignées ?

Puis il appela Philippe, et, après avoir payé sa consommation, il se leva.