Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gaïloff ; il lève la main sur elle et au même instant s’éveille.

Il se retrouva couché sur son lit, enveloppé dans la couverture ; la bougie n’était pas allumée, le jour se levait déjà.

« J’ai eu le cauchemar toute cette nuit ! » Il se mit sur son séant et s’aperçut avec colère qu’il était tout courbaturé, tout brisé. Au dehors régnait un épais brouillard au travers duquel on ne pouvait rien distinguer. Il était près de cinq heures ; Svidrigaïloff avait dormi trop longtemps ! Il se leva, remit ses vêtements encore humides, et, sentant le revolver dans sa poche, il le prit pour s’assurer si la capsule était bien placée. Ensuite il s’assit, et sur la première page de son carnet écrivit quelques lignes en gros caractères. Après les avoir relues, il s’accouda sur la table et s’absorba dans ses réflexions. Les mouches se régalaient de la portion de veau restée intacte. Il les regarda longtemps, puis se mit à leur donner la chasse. À la fin, il s’étonna de l’occupation à laquelle il se livrait, et, recouvrant tout à coup la conscience de sa situation, il sortit vivement de la chambre. Un instant après, il était dans la rue.

Un épais brouillard couvrait la ville. Svidrigaïloff cheminait dans la direction de la Petite-Néwa. Tandis qu’il marchait sur le glissant pavé de bois, il voyait en imagination l’Île Pétrowsky avec ses petits sentiers, ses gazons, ses arbres, ses taillis… Pas un piéton, pas un fiacre sur toute l’étendue de la perspective. Les petites maisons jaunes, aux volets fermés, avaient l’air sale et triste. Le froid et l’humidité commençaient à donner le frisson au promeneur matinal. De loin en loin, quand il apercevait l’enseigne d’une boutique, il la lisait machinalement.

Arrivé au bout du pavé de bois, à la hauteur de la grande maison de pierre, il vit un chien fort laid qui traversait la chaussée en serrant sa queue entre ses jambes. Un homme ivre-mort gisait au milieu du trottoir, le visage contre terre. Svidrigaïloff regarda un instant l’ivrogne et passa