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gnions, Sophie Séménovna et moi ! Ainsi tu crois encore à la vie, Dieu soit loué !

Raskolnikoff eut un sourire amer.

— Je n’y croyais pas, mais tout à l’heure j’ai été chez notre mère, et nous nous sommes embrassés en pleurant ; je suis incrédule, et pourtant je lui ai demandé de prier pour moi. Dieu sait comment cela se fait, Dounetchka ; moi-même, je ne comprends rien à ce que j’éprouve. — Tu as été chez notre mère ? Tu lui as parlé ? s’écria Dounia épouvantée. Se peut-il que tu aies eu le courage de lui dire cela ?

— Non, je ne le lui ai pas dit… verbalement ; mais elle se doute de quelque chose. Elle t’a entendue rêver tout haut la nuit dernière. Je suis sûr qu’elle a déjà deviné la moitié de ce secret. J’ai peut-être eu tort d’aller la voir. Je ne sais même pourquoi je l’ai fait. Je suis un homme bas, Dounia.

— Oui, mais un homme prêt à aller au-devant de l’expiation. Tu iras, n’est-ce pas ?

— À l’instant. Pour fuir ce déshonneur, je voulais me noyer, Dounia ; mais au moment où j’allais me jeter à l’eau, je me suis dit qu’un homme fort ne doit pas avoir peur de la honte. C’est de l’orgueil, Dounia ?

— Oui, Rodia !

Une sorte d’éclair s’alluma dans ses yeux ternes ; il semblait heureux de penser qu’il avait conservé son orgueil.

— Tu ne penses pas, ma sœur, que j’aie eu simplement peur de l’eau ? demanda-t-il avec un sourire désagréable.

— Oh ! Rodia, assez ! répondit la jeune fille blessée de cette supposition.

Tous deux restèrent silencieux pendant dix minutes. Raskolnikoff tenait les yeux baissés ; Dounetchka le considérait avec une expression de souffrance. Tout à coup il se leva :

— L’heure s’avance, il est grand temps de partir. Je vais me livrer, mais je ne sais pourquoi je fais cela.