Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/275

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De grosses larmes jaillirent sur les joues de Dounetchka.

— Tu pleures, ma sœur ; mais peux-tu me tendre la main ?

— En doutais-tu ?

Elle le serra avec force contre sa poitrine.

— Est-ce qu’en t’offrant à l’expiation tu n’effaceras pas la moitié de ton crime ? s’écria-t-elle ; en même temps elle embrassait son frère.

— Mon crime ? Quel crime ? répliqua-t-il dans un soudain accès de colère : celui d’avoir tué une vermine sale et malfaisante, une vieille usurière nuisible à tout le monde, un vampire qui suçait le sang des pauvres ? Mais un tel meurtre devrait obtenir l’indulgence pour quarante péchés ! Je n’y pense pas et ne songe nullement à l’effacer. Qu’ont-ils tous à me crier de tous côtés : « Crime ! crime ! » Maintenant que je me suis décidé à affronter gratuitement ce déshonneur, maintenant seulement l’absurdité de ma lâche détermination m’apparaît dans tout son jour ! C’est simplement par bassesse et par impuissance que je me résous à cette démarche, à moins que ce ne soit aussi par intérêt, comme me le conseillait ce… Porphyre.

— Frère, frère, que dis-tu ? Mais tu as versé le sang ! répondit Dounia, consternée.

— Eh bien, quoi ! Tout le monde le verse, poursuivit-il avec une véhémence croissante ; il a toujours coulé à flots sur la terre ; les gens qui le répandent comme du champagne montent ensuite au Capitole et sont proclamés bienfaiteurs de l’humanité. Examine les choses d’un peu plus près avant de les juger. Je voulais faire, moi aussi, du bien aux hommes ; des centaines, des milliers de bonnes actions eussent amplement racheté cette unique sottise, et, quand je dis sottise, je devrais dire plutôt maladresse, car l’idée n’était pas si sotte qu’elle en a l’air maintenant : après l’insuccès, les desseins les mieux concertés paraissent idiots. Je ne voulais, par cette bêtise, que me créer une situation indépendante,