Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/277

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t-il d’ajouter en remarquant une étrange expression dans les yeux de Dounia, tandis qu’il faisait ces promesses. — Pourquoi pleures-tu ainsi ? Ne pleure pas, nous ne nous quittons pas pour toujours !… Ah ! oui ! Attends, j’oubliais…

Il alla prendre sur la table un gros livre couvert de poussière, l’ouvrit et en tira une petite aquarelle peinte sur ivoire. C’était le portrait de la fille de sa logeuse, la jeune personne qu’il avait aimée. Pendant un instant il considéra ce visage expressif et souffreteux, puis il baisa le portrait et le remit à Dounetchka.

— J’ai bien des fois causé de cela avec elle, avec elle seule, dit-il rêveusement, — j’ai fait confidence à son cœur de ce projet qui devait avoir une issue si lamentable. Sois tranquille, continua-t-il en s’adressant à Dounia, — elle en a été révoltée tout autant que toi, et je suis bien aise qu’elle soit morte.

Puis, revenant à l’objet principal de ses préoccupations :

— L’essentiel maintenant, dit-il, — est de savoir si j’ai bien calculé ce que je vais faire et si je suis prêt à en accepter toutes les conséquences. On prétend que cette épreuve m’est nécessaire. Est-ce vrai ? Quelle force morale aurai-je acquise quand je sortirai du bagne, brisé par vingt années de souffrances ? Sera-ce alors la peine de vivre ? Et je consens à porter le poids d’une existence pareille ! Oh ! j’ai senti que j’étais lâche, ce matin, au moment de me jeter dans la Néwa !

À la fin, tous deux sortirent. Dounia n’avait été soutenue durant cette pénible entrevue que par son amour pour son frère. Ils se quittèrent dans la rue. Après avoir fait cinquante pas, la jeune fille se retourna pour voir une dernière fois Raskolnikoff. Lorsqu’il fut arrivé au coin de la rue, lui-même se retourna aussi. Leurs yeux se rencontrèrent, mais, remarquant que le regard de sa sœur était fixé sur lui, il fit un geste d’impatience et même de colère pour l’inviter à continuer son chemin ; ensuite il disparut au tournant de la rue.