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— Fais le signe de la croix, dis une petite prière, supplia d’une voix tremblante la jeune fille.

— Oh ! soit, je prierai tant que tu voudras ! Et de bon cœur, Sonia, de bon cœur…

Ce n’était pas tout ce qu’il avait envie de dire.

Il fit plusieurs signes de croix. Sonia noua autour de sa tête un mouchoir vert en drap de dame, le même, probablement, dont Marméladoff avait parlé naguère au cabaret et qui servait alors à toute la famille. Cette pensée traversa l’esprit de Raskolnikoff, mais il s’abstint de questionner à ce sujet. Il commençait à s’apercevoir qu’il avait des distractions continuelles et qu’il était extrêmement troublé. Cela l’inquiétait. Tout à coup il remarqua que Sonia se préparait à sortir avec lui.

— Qu’est-ce que tu fais ? Où vas-tu ? Reste, reste ! Je veux être seul, s’écria-t-il d’une voix irritée, et il se dirigea vers la porte. — Quel besoin d’aller là avec toute une suite ! grommela-t-il en sortant.

Sonia n’insista point. Il ne lui dit même pas adieu, il l’avait oubliée. Une seule idée l’occupait maintenant :

« Est-ce que réellement c’en est fait ? se demandait-il tout en descendant l’escalier : n’y a-t-il pas moyen de revenir en arrière, de tout arranger… et de ne pas aller là ? »

Néanmoins il poursuivit sa marche, comprenant soudain que l’heure des hésitations était passée. Dans la rue il se rappela qu’il n’avait pas dit adieu à Sonia, qu’elle s’était arrêtée au milieu de la chambre, qu’un ordre de lui l’avait comme clouée à sa place. Il se posa alors une autre question qui, depuis quelques minutes, hantait son esprit sans se formuler nettement :

« Pourquoi lui ai-je fait cette visite ? Je lui ai dit que je venais pour affaire : quelle affaire ? Je n’en ai absolument aucune. Pour lui apprendre que « je vais là » ? Cela était bien nécessaire ! Pour lui dire que je l’aime ? Allons donc ! je