Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/280

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table. Le croiras-tu ? Peu s’en est fallu tantôt que je n’aie montré le poing à ma sœur, et cela parce qu’elle s’était retournée pour me voir une dernière fois. Suis-je tombé assez bas ! Eh bien, où sont les croix ?

Le jeune homme ne semblait pas dans son état normal. Il ne pouvait ni rester une minute en place ni fixer sa pensée sur un objet ; ses idées se succédaient sans transition, ou, pour mieux dire, il battait la campagne ; ses mains tremblaient légèrement.

Sonia gardait le silence. Elle tira d’une boîte deux croix : l’une en cyprès, l’autre en cuivre, puis elle se signa et, après avoir répété la même cérémonie sur la personne de Raskolnikoff, lui passa au cou la croix de cyprès.

— C’est une manière symbolique d’exprimer que je me charge d’une croix, hé ! hé ! Comme si d’aujourd’hui seulement je commençais à souffrir ! La croix de cyprès, c’est celle des petites gens ; la croix de cuivre appartenait à Élisabeth ; tu la gardes pour toi, montre-la un peu ! Ainsi, elle la portait… à ce moment-là ? Je connais deux autres objets de piété : une croix d’argent et une image. Je les ai jetés alors sur la poitrine de la vieille. Voilà ce que je devrais maintenant me mettre au cou… Mais je ne dis que des fadaises et j’oublie mon affaire, je suis distrait !… Vois-tu, Sonia ? je suis venu surtout pour te prévenir, afin que tu saches… Eh bien, voilà tout… Je ne suis venu que pour cela. (Hum ! Je croyais pourtant avoir autre chose à te dire.) Voyons, tu as toi-même exigé de moi cette démarche, je vais être mis en prison, et ton désir sera satisfait ; pourquoi donc pleures-tu ? Toi aussi ! cesse, assez ; oh ! que tout cela m’est pénible !

À la vue de Sonia en larmes, son cœur se serrait : « Que suis-je pour elle ? » se disait-il à part soi ; « pourquoi s’intéresse-t-elle à moi comme pourrait le faire ma mère ou Dounia ? Elle sera ma niania ! »