Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/49

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— Oh ! non, ne dites pas cela ! Nous faisons bourse commune, nos intérêts sont les mêmes ! reprit vivement Sonia, dont l’irritation en ce moment ressemblait à l’inoffensive colère d’un petit oiseau. — D’ailleurs, comment pourrait-elle faire ? demanda-t-elle en s’animant de plus en plus. — Et combien, combien a-t-elle pleuré aujourd’hui ! Elle a l’esprit troublé, vous ne l’avez pas remarqué ? Son intelligence est atteinte. Tantôt elle s’inquiète puérilement de ce qu’il y a à faire pour demain, afin que tout soit convenable, le dîner et le reste… Tantôt elle se tord les mains, crache le sang, pleure, se cogne la tête au mur avec désespoir. Ensuite elle se console, elle met son espoir en vous, elle dit que vous allez être maintenant son soutien ; elle parle d’emprunter de l’argent quelque part et de retourner dans sa ville natale avec moi : là, elle fondera un pensionnat pour les jeunes filles nobles, et me confiera les fonctions d’inspectrice dans sa maison ; « une vie toute nouvelle, une vie heureuse commencera pour nous », me dit-elle en m’embrassant. Ces pensées la consolent, elle croit si fermement à ses imaginations ! Est-ce qu’on peut la contredire, je vous le demande ? Elle a passé toute la journée d’aujourd’hui à laver, à mettre son logement en ordre ; toute faible qu’elle est, elle a monté une auge dans la chambre, puis, n’en pouvant plus, elle est tombée sur son lit. Dans la matinée, nous avions visité des boutiques ensemble, nous voulions acheter des chaussures à Poletchka et à Léna, parce que les leurs ne valent plus rien. Malheureusement, nous n’avions pas assez d’argent, il s’en fallait de beaucoup, et elle avait choisi de si jolies petites bottines, car elle a du goût, vous ne savez pas… Elle s’est mise à pleurer, là, en pleine boutique, devant les marchands, parce qu’elle n’avait pas de quoi faire cet achat… Ah ! que cela était triste à voir !

— Allons, on comprend après cela que vous… viviez ainsi, observa Raskolnikoff avec un sourire amer.