Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/51

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ainsi ! Elle m’a regardée d’un air si affligé que cela faisait peine à voir… Et ce n’était pas les cols qu’elle regrettait, non, ce qui la désolait, c’était mon refus, je l’ai bien vu. Ah ! si je pouvais maintenant retirer tout cela, faire que toutes ces paroles n’aient pas été prononcées !… Oh, oui !… Mais quoi ! tout cela vous est égal !

— Vous connaissiez cette Élisabeth, la marchande ?

— Oui… Et vous, est-ce que vous la connaissiez aussi ? demanda Sonia un peu étonnée.

— Catherine Ivanovna est phtisique au dernier degré ; elle mourra bientôt, dit Raskolnikoff après un silence et sans répondre à la question.

— Oh ! non, non, non ! Et Sonia, inconsciente de ce qu’elle faisait, saisit les deux mains du visiteur, comme si le sort de Catherine Ivanovna eût dépendu de lui.

— Mais ce sera tant mieux si elle meurt.

— Non, ce ne sera pas tant mieux, non, non, pas du tout ! fit la jeune fille avec effroi.

— Et les enfants ? Qu’en ferez-vous alors, puisque vous ne pouvez pas les avoir chez vous ?

— Oh ! je ne sais pas ! s’écria-t-elle avec un accent de désolation navrante, et elle se prit la tête. Il était clair que bien souvent cette pensée avait dû la préoccuper.

— Mettons que Catherine Ivanovna vive encore quelque temps, vous pouvez tomber malade, et quand vous aurez été transportée à l’hôpital, qu’arrivera-t-il ? poursuivit impitoyablement Raskolnikoff.

— Ah ! que dites-vous ? que dites-vous ? C’est impossible !

L’épouvante avait rendu méconnaissable le visage de Sonia.

— Comment, c’est impossible ? reprit-il avec un sourire sarcastique : — vous n’êtes pas assurée contre la maladie, je suppose ? Alors que deviendront-ils ? Toute la smala se trouvera sur la rue, la mère demandera l’aumône en toussant,