Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

détruit une vie… la tienne (cela revient au même !). Tu aurais pu vivre par l’esprit, par la raison, et tu finiras sur le Marché-au-Foin… Mais tu ne pourras pas y tenir, et, si tu restes seule, tu perdras la raison ; moi aussi, d’ailleurs. Maintenant déjà, tu es comme une folle. Il faut donc que nous marchions ensemble, que nous suivions la même route ! Partons !

— Pourquoi ? Pourquoi dites-vous cela ? reprit Sonia étrangement troublée par ce langage.

— Pourquoi ? Parce que tu ne peux pas rester ainsi : voilà pourquoi ! Il faut enfin raisonner sérieusement et voir les choses sous leur vrai jour, au lieu de pleurer comme un enfant et de se reposer de tout sur Dieu ! Qu’arrivera-t-il, je te le demande, si demain on te transporte à l’hôpital ? Catherine Ivanovna, presque folle et phtisique, mourra bientôt ; que deviendront ses enfants ? La perte de Poletchka n’est-elle pas certaine ?

— Que faire donc ? Que faire ? répéta en pleurant Sonia, qui se tordait les mains.

— Ce qu’il faut faire ? Il faut couper le câble une fois pour toutes et aller de l’avant, advienne que pourra. Tu ne comprends pas ? Plus tard, tu comprendras… La liberté et la puissance, mais surtout la puissance ! Régner sur toutes les créatures tremblantes, sur toute la fourmilière !… Voilà le but ! Rappelle-toi cela ! C’est le testament que je te laisse. Peut-être que je te parle pour la dernière fois. Si je ne viens pas demain, tu apprendras tout toi-même, et alors souviens-toi de mes paroles. Plus tard, d’ici à quelques années, avec l’expérience de la vie, tu comprendras peut-être ce qu’elles signifiaient. Si je viens demain, je te dirai qui a tué Élisabeth. Adieu !

Sonia frissonna et le regarda avec égarement.

— Mais est-ce que vous savez qui l’a tuée ? demanda-t-elle glacée de terreur.