Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/64

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— Je le sais et je le dirai… À toi, à toi seule ! Je t’ai choisie. Je ne viendrai pas te demander pardon, mais simplement te dire cela. Il y a longtemps que je t’ai choisie. Dès le moment où ton père m’a parlé de toi, du vivant même d’Élisabeth, cette idée m’est venue. Adieu. Ne me donne pas la main. À demain !

Il sortit, laissant à Sonia l’impression d’un fou ; mais elle-même était comme une folle et elle le sentait. La tête lui tournait. « Seigneur ! Comment sait-il qui a tué Élisabeth ? Que signifiaient ces paroles ? C’est étrange ! » Pourtant elle n’eut pas le moindre soupçon de la vérité… « Oh ! il doit être terriblement malheureux !… Il a quitté sa mère et sa sœur. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a eu ? Et quelles sont ses intentions ? Que m’a-t-il dit ? Il m’a baisé le pied et il m’a dit… il m’a dit (oui, il s’est bien exprimé ainsi) qu’il ne pouvait plus vivre sans moi… Ô Seigneur ! »

Derrière la porte condamnée se trouvait une pièce inoccupée depuis longtemps qui dépendait du logement de Gertrude Karlovna Resslich. Cette chambre était à louer, comme l’indiquaient un écriteau placé à l’extérieur de la grand’porte et des papiers collés sur les fenêtres donnant sur le canal. Sonia savait que personne n’habitait là. Mais, pendant toute la scène précédente, M. Svidrigaïloff, caché derrière la porte, n’avait cessé de prêter une oreille attentive à la conversation. Lorsque Raskolnikoff fut sorti, le locataire de madame Resslich réfléchit un moment, puis il rentra sans bruit dans sa chambre qui était contiguë à la pièce vide, y prit une chaise et vint la placer tout contre la porte. Ce qu’il venait d’entendre l’avait intéressé au plus haut point ; aussi apporta-t-il cette chaise pour pouvoir écouter la fois prochaine, sans être forcé de rester sur ses jambes pendant une heure.