Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/68

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dangereuse : son agitation, l’agacement de ses nerfs ne feraient qu’augmenter. « Mauvais ! Mauvais !… Je vais encore lâcher quelque sottise. »

— Oui, oui ! Ne vous inquiétez pas ! Nous avons le temps, nous avons le temps, murmura Porphyre Pétrovitch qui, sans aucune intention apparente, allait et venait dans la chambre, s’approchant tantôt de la fenêtre, tantôt du bureau, pour revenir ensuite près de la table ; parfois, il évitait le regard soupçonneux de Raskolnikoff ; parfois, il s’arrêtait brusquement et regardait son visiteur en plein visage. C’était un spectacle extraordinairement bizarre qu’offrait en ce moment ce petit homme gros et rond dont les évolutions rappelaient celles d’une balle ricochant d’un mur à l’autre.

— Rien ne presse, rien ne presse !… Mais vous fumez ? Avez-vous du tabac ? Tenez, voici une cigarette, continua-t-il en offrant un paquitos au visiteur… Vous savez, je vous reçois ici, mais mon logement est là, derrière cette cloison… C’est l’État qui me le fournit… Je ne suis ici qu’en camp volant, parce qu’il y avait quelques arrangements à faire dans mon appartement. À présent tout est prêt ou peu s’en faut… Savez-vous que c’est une fameuse chose qu’un logement fourni par l’État, hein, qu’en pensez-vous ?

— Oui, c’est une fameuse chose, répondit Raskolnikoff en le regardant d’un air presque moqueur.

— Une fameuse chose, une fameuse chose… répéta Porphyre Pétrovitch qui semblait avoir l’esprit occupé d’un tout autre objet, — oui ! une fameuse chose ! fit-il brusquement d’une voix presque tonnante en s’arrêtant à deux pas de Raskolnikoff qu’il fixa tout à coup. L’incessante et sotte répétition de cette phrase qu’un logement fourni par l’État était une fameuse chose contrastait par sa platitude avec le regard sérieux, profond, énigmatique qu’il dirigeait maintenant sur son visiteur.