Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/74

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Pour en revenir à la forme, eh bien ! supposons que je sois chargé de l’instruction d’une affaire, je sais ou plutôt je crois savoir que le coupable est un certain monsieur… Ne vous préparez-vous pas à suivre la carrière du droit, Rodion Romanovitch ?

— Oui, j’étudiais…

— Eh bien, voici un petit exemple qui pourra vous servir plus tard, — c’est-à-dire, ne croyez pas que je me permette de trancher du professeur avec vous ; à Dieu ne plaise que je prétende enseigner quoi que ce soit à un homme qui traite dans les journaux les questions de criminalité ! Non, je prends seulement la liberté de vous citer un petit fait à titre d’exemple, — je suppose donc que j’aie cru découvrir le coupable : pourquoi, je vous le demande, l’inquiéterais-je prématurément, lors même que j’aurais des preuves contre lui ? Sans doute, un autre, qui n’aurait pas le même caractère, je le ferais arrêter tout de suite, mais celui-ci, pourquoi ne le laisserais-je pas se promener un peu dans la ville, hé ! hé ! Non, je vois que vous ne comprenez pas très-bien ; je vais m’expliquer plus clairement.

Si, par exemple, je me presse trop de lancer un mandat d’arrêt contre lui, eh bien, par là je lui fournis, pour ainsi dire, un point d’appui moral, hé ! hé ! vous riez ? (Raskolnikoff ne pensait même pas à rire ; il tenait ses lèvres serrées, et son regard enflammé ne quittait pas les yeux de Porphyre Pétrovitch.) Pourtant, dans l’espèce, cela est ainsi, car les gens sont très-divers, quoique, malheureusement, la procédure soit la même pour tous. — Mais, du moment que vous avez des preuves ? allez-vous me dire. — Eh ! mon Dieu, batuchka, vous savez ce que c’est que les preuves : les trois quarts du temps les preuves sont à deux fins, et moi, juge d’instruction, je suis homme, partant sujet à l’erreur.

Or, je voudrais donner à mon enquête la rigueur absolue d’une démonstration mathématique ; je voudrais que mes