Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/78

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Pétrovitch, qui comptait à peine trente-cinq ans, semblait, en effet, avoir vieilli tout d’un coup : une métamorphose soudaine s’était produite dans toute sa personne et jusque dans sa voix) ; de plus, je suis un homme franc… Suis-je ou non un homme franc ? Qu’en pensez-vous ? Il me semble qu’on ne peut pas l’être davantage : je vous confie de pareilles choses et je ne demande même pas de récompense, hé ! hé !

Eh bien ! je continue : la finesse d’esprit est, à mon avis, une fort belle chose, c’est, pour ainsi dire, l’ornement de la nature, la consolation de la vie, et, avec cela, on peut, semble-t-il, jobarder facilement un pauvre juge d’instruction qui lui-même est, d’ailleurs, souvent trompé par sa propre imagination, car il est homme ! Mais la nature vient en aide au pauvre juge d’instruction, voilà le malheur ! Et c’est à quoi ne songe pas la jeunesse confiante dans son intelligence, la jeunesse « qui foule aux pieds tous les obstacles » (comme vous l’avez dit d’une façon si fine et si ingénieuse).

Dans le cas particulier qui nous occupe, le coupable, je l’admets, mentira supérieurement ; mais, quand il croira n’avoir plus qu’à recueillir le fruit de son adresse, crac ! il s’évanouira dans l’endroit même ou un pareil accident doit être le plus commenté. Mettons qu’il puisse expliquer sa syncope par un état maladif, par l’atmosphère étouffante de la salle ; n’importe, il n’en a pas moins donné matière aux soupçons ! Il a menti d’une façon incomparable, mais il n’a pas su prendre ses précautions contre la nature. Voilà où est le piège !

Une autre fois, entraîné par son humeur moqueuse, il s’amusera à mystifier quelqu’un qui le soupçonne et, par jeu, il fera semblant d’être le criminel recherché par la police ; mais il entrera trop bien dans la peau du bonhomme, il jouera sa comédie prétendue avec trop de naturel, et ce sera encore un indice. Sur le moment, son interlocuteur pourra être dupe ; mais si ce dernier n’est pas un niais, il se ravisera