Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dès le lendemain. Notre homme se compromettra ainsi à chaque instant ! Que dis-je ? il viendra de lui-même là où il n’est pas appelé, et il se répandra en paroles imprudentes, en allégories dont le sens n’échappera à personne, hé ! hé ! Il viendra demander pourquoi on ne l’a pas encore arrêté, hé ! hé ! Et cela peut arriver à un personnage d’un esprit très-fin, voire à un psychologue et à un littérateur ! La nature est le miroir le plus transparent, il suffit de le contempler ! Mais pourquoi pâlissez-vous ainsi, Rodion Romanovitch ! Vous avez peut-être trop chaud : voulez-vous qu’on ouvre la fenêtre ?

— Oh ! ne vous inquiétez pas, je vous en prie, cria Raskolnikoff, et tout à coup il se mit à rire. — Je vous en prie, ne faites pas attention !

Porphyre s’arrêta en face de lui, attendit un moment et soudain partit lui-même d’un éclat de rire. Raskolnikoff, dont l’hilarité s’était subitement calmée, se leva.

— Porphyre Pétrovitch ! dit-il d’une voix nette et forte, bien qu’il eût peine à se tenir sur ses jambes tremblantes, je n’en puis plus douter, vous me soupçonnez positivement d’avoir assassiné cette vieille et sa sœur Élisabeth. De mon côté, je vous déclare que depuis longtemps j’en ai assez, de tout cela. Si vous croyez avoir le droit de me poursuivre, de me faire arrêter, poursuivez-moi, mettez-moi en état d’arrestation. Mais je ne permets pas qu’on se moque de moi et qu’on me martyrise…

Tout à coup ses lèvres commencèrent à frémir, ses yeux lancèrent des flammes, et sa voix, jusqu’alors contenue, atteignit le diapason le plus élevé.

— Je ne le permets pas ! cria-t-il brusquement, et il asséna un vigoureux coup de poing sur la table. — Entendez-vous cela, Porphyre Pétrovitch ? Je ne le permets pas !

— Ah ! Seigneur ! mais qu’est-ce qui vous prend ? s’écria le juge d’instruction en apparence fort inquiet. — Batuchka !