Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/110

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j’ai recueillies peu à peu m’ont rendu courage. J’ai observé, étudié, et je me suis enfin convaincu que mes soupçons n’étaient pas fondés. J’ai appris que vous étiez brouillée avec votre famille, et que votre père s’oppose par tous les moyens à votre mariage avec mon fils ; le fait que vous avez sur Aliocha un si grand empire et que vous n’en avez pas profité pour le forcer à vous épouser vous montre sous un aspect extrêmement favorable. Néanmoins, je vous l’avoue franchement, j’avais pris la résolution de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher votre union avec mon fils. Je m’exprime trop sincèrement, je le sais, mais en ce moment la sincérité de ma part est plus nécessaire que toute autre chose ; vous en conviendrez quand vous m’aurez entendu. Bientôt après votre départ de la maison paternelle, je quittai Pétersbourg, et je ne craignais déjà plus pour Aliocha, car je comptais sur votre fierté ; j’avais compris que vous ne vouliez pas ce mariage avant que les inimitiés qui nous divisaient fussent apaisées ; vous ne vouliez pas troubler l’accord qui régnait entre mon fils et moi, car vous compreniez que je ne lui aurais jamais pardonné ; vous ne vouliez pas non plus qu’on dit que vous aviez cherché un fiancé qui fût prince. Vous avez au contraire laissé voir tout votre dédain pour nous, et vous attendiez peut-être le moment où je viendrais moi-même vous demander de nous faire l’honneur d’accorder votre main à mon fils.

Je ne suis pas moins resté obstiné dans ma malveillance. Sans vouloir justifier ma conduite, je ne puis vous cacher les motifs que j’avais d’agir ainsi. Les voici : vous n’appartenez pas à une grande famille et vous n’êtes pas riche ; quoique j’aie quelque fortune, il nous faut plus que nous n’avons ; notre blason est dédoré ; il nous faut des relations influentes et de l’argent, et si la belle-fille de la comtesse ne nous donne pas ces relations, elle est du moins puissamment riche. Si nous avions tardé, il n’aurait pas manqué de se présenter des prétendants qui nous auraient enlevé notre fiancée ; il était impossible de laisser échapper une si belle occasion, et malgré qu’Aliocha soit encore trop jeune, je me décidai à rechercher Catherine Féodorovna pour lui. Je suis