Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/109

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— Veuillez vous asseoir, dit Natacha, qui ne parvenait pas encore à vaincre son agitation et sa frayeur. Il s’inclina légèrement et s’assit.

— Permettez-moi d’abord de dire deux mot à mon fils. Aliocha, continua-t-il, en se tournant vers celui-ci, à peine étais-tu parti sans m’attendre et sans prendre congé, qu’on est venu annoncer que Catherine Féodorovna se trouvait mal. La comtesse s’est aussitôt précipitée pour aller auprès d’elle, mais Catherine Féodorovna est arrivée tout à coup en proie à une vive émotion et à une agitation extraordinaires. Elle nous a déclaré qu’elle ne pouvait pas être ta femme, qu’elle irait au couvent, que tu lui avais avoué ton amour pour Natalie Nicolaïevna et que tu lui avais demandé son appui… Cet aveu si inattendu était, cela va sans dire, le résultat de l’étrange explication que tu as eue avec elle. Figure-toi ma surprise et mon effroi. En passant devant chez vous, continua-t-il en s’adressant à Natacha, j’ai vu vos fenêtres éclairées ; une pensée qui me poursuivait déjà depuis longtemps s’est si complètement emparée de moi que je n’ai pas résisté, et je suis monté, vous saurez tout à l’heure pourquoi ; mais je vous demande d’avance de ne pas vous étonner si mon explication a quelque chose de tranchant. Tout cela est si inattendu…

— J’espère que je comprendrai et que je saurai… apprécier comme je le dois ce que vous direz, répondit Natacha avec hésitation.

— Je compte en effet sur votre pénétration, continua-t-il ; et si je me suis permis de venir, c’est surtout parce que je sais à qui j’ai affaire. Il y a longtemps que je vous connais. Vous savez qu’il y a entre votre père et moi des désagréments qui ne datent pas d’aujourd’hui. Je ne me justifierai pas, j’ai peut-être envers lui plus de torts que je ne l’ai cru jusqu’à présent ; mais s’il en est ainsi, c’est que j’ai été trompé. Je suis méfiant, je le confesse, je soupçonne le mal plutôt que le bien ; c’est là un trait malheureux, qui appartient en propre aux cœurs secs ; je n’ai pas l’habitude de dissimuler mes défauts. J’ai ajouté foi à toutes les calomnies, et lorsque vous avez quitté vos parents, j’ai tremblé pour Aliocha. Mais je ne vous connaissais pas encore, et les informations que