Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Qu’est-ce que ça te fait ? du reste, à ton gré : il s’appelle Valkovsky.

— Pierre ?

— Oui. Tu le connais ?

— Très-peu ; mais j’aurai peut-être à te parler plus d’une fois de ce monsieur, dis-je en me levant. Tu m’as terriblement intéressé.

— Vois-tu, mon vieux, tu peux demander tout ce que tu voudras. Je connais l’art de raconter des contes, mais je sais m’arrêter, tu comprends, n’est-ce pas ? Si j’agissais autrement, j’y perdrais crédit et honneur, en affaires, bien entendu.

— Eh bien ! tu m’en diras autant que l’honneur te le permettra.

J’étais très-agité ; il s’en aperçut.

— Et que dis-tu de mon histoire ? As-tu trouvé quelque chose ?

— Pour ton histoire ? Attends-moi deux minutes ; je vais régler mon compte.

Il s’approcha du comptoir et se trouva tout à coup, comme par hasard, à côté du jeune homme au costume russe. Il le connaissait sans doute plus qu’il ne l’avouait, et ils ne se voyaient certainement pas pour la première fois. Mitrochka était un garçon assez original : casaque de velours sous laquelle on voyait une blouse de soie rouge, ses traits rudes, mais beaux, sa figure juvénile, son teint basané, ses yeux étincelant de hardiesse, tout cela attirait la curiosité et inspirait une certaine sympathie. Ses gestes étaient affectés ; il cherchait à se donner un air affairé, grave et sérieux.

— Vania, me dit Masloboïew en me rejoignant, viens me voir ce soir à sept heures, je pourrai peut-être déjà te dire quelque chose. Moi seul, vois-tu, je n’ai rien à signifier ; jadis, c’était autrement ; mais à présent je ne suis plus qu’un ivrogne, et j’ai renoncé aux affaires. Mais j’ai conservé des relations, je puis par-ci par-là attraper quelque information, flairer à droite et à gauche auprès de gens à l’esprit subtil : c’est ainsi que j’opère ; pendant mes moments de loisir, c’est-à-dire ceux où je ne suis pas gris, je m’occupe bien aussi un peu moi-même, toujours par l’intermédiaire de