Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/139

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connaissances… surtout de recherches… Mais en voilà assez, voici mon adresse. Je commence à tourner à l’aigre, je m’en vais encore expédier un verre de liqueur d’or, et je rentre. Je fais un somme, tu arrives, tu fais connaissance avec Alexandra Simonovna, et, si nous avons le temps, nous parlerons poésie.

— Et nous parlerons aussi de l’affaire ?

— Peut-être bien.

— Soit, je viendrai, je n’y manquerai pas.


VI

Anna Andréievna. m’attendait depuis longtemps ; le billet de Natacha l’avait intriguée, et elle pensait me voir dès le matin, au plus tard vers les dix heures. Lorsque j’arrivai, à deux heures de l’après-midi, l’impatience de la bonne vieille était devenue de l’angoisse. Outre cela, elle brûlait de me faire part d’un nouveau projet et de me parler de son mari, qui, malgré qu’il fût malade et de mauvaise humeur, était d’une tendresse exceptionnelle. Elle me reçut avec froideur, en pinçant les lèvres et avec une indifférence affectée. Elle semblait vouloir me dire : « Pourquoi es-tu venu ? quel plaisir trouves-tu donc à flâner ainsi tous les jours ? » Mais j’étais pressé, et je lui racontai, sans aucun préambule, la scène de la veille. Quand je lui eus dit la visite du prince et la proposition qu’il avait solennellement faite, sa feinte mauvaise humeur fit place à une joie indescriptible : elle avait tout à fait perdu la tête, se signait, pleurait, s’agenouillait et se prosternait devant l’image, me sautait au cou, m’embrassait et voulut courir faire part de sa joie à son mari.

— Ce sont les humiliations et les offenses qui l’ont fait ce qu’il est, s’écria-t-elle : quand il saura que Natacha reçoit complète satisfaction, tout sera oublié. – J’eus de la peine à la faire changer d’avis. Elle connaissait