Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/160

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que j’avais prise à dessein aussi simple, aussi peu voyante que possible. Je pris encore deux paires de bas de fil et une de laine ; je pouvais les lui donner sous prétexte qu’elle était malade et que la chambre était froide. Il lui fallait aussi du linge, mais je laissai cela jusqu’au moment où nous aurions fait plus ample connaissance. Enfin, je fis l’acquisition d’une vieille draperie pour la tendre devant le lit, chose indispensable, et dont elle serait sans doute très-satisfaite. À une heure, j’étais de retour avec toutes mes emplettes. La porte s’ouvrait presque sans bruit, de sorte qu’elle ne m’entendit pas rentrer. Elle était devant ma table à feuilleter mes livres et mes papiers ; en m’entendant, elle s’éloigna de la table en rougissant. Je regardai le livre qu’elle venait de poser ; c’était mon premier roman, et mon nom se trouvait sur le titre.

— Pourquoi m’avez-vous renfermé ? dit-elle d’un ton de taquinerie. Quelqu’un a frappé à la porte.

— C’était peut-être le médecin, lui dis-je ; n’as-tu pas répondu ?

— Non.

Je défis mon paquet, j’en tirai les vêtements.

— Chère petite amie, lui dis-je, tu ne peux pas rester ainsi déguenillée ; aussi t’ai-je acheté une robe de tous les jours, tout à fait bon marché, de sorte que tu n’as pas besoin d’avoir des scrupules à cet égard ; elle ne coûte qu’un rouble vingt-cinq kopecks.

Je posai la robe sur le canapé, elle rougit et me regarda étonnée et confuse ; mais quelque chose de doux, de tendre, brillait dans ses yeux. Voyant qu’elle se taisait, j’allai à ma table. Ma conduite lui causait évidemment une grande surprise, mais elle s’efforçait de la maîtriser et restait assise, les yeux baissés.

La tête me tournait et me faisait toujours plus mal ; l’air frais ne m’avait pas soulagé. Il me fallait cependant aller chez Natacha, au sujet de laquelle mon inquiétude ne faisait qu’augmenter. Tout à coup Hélène m’appela ; je me tournai vers elle.

— Quand vous sortez, ne m’enfermez pas, dit-elle en tirant