Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/161

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de ses petits doigts la passementerie du canapé, sans me regarder, comme absorbée dans cette occupation. Je ne m’en irai pas.

— Très-bien, Hélène, j’y consens ; mais s’il vient quelqu’un ? Et Dieu sait qui peut venir !

— Laissez-moi la clef, je fermerai en dedans ; si quelqu’un frappe, je dirai que vous êtes sorti.

Et elle me regardait d’un œil malicieux comme pour me dire : Ce n’est pas plus difficile que ça.

— Qui est-ce qui blanchit votre linge ? me demanda-t-elle sans attendre ma réponse.

— Une femme qui demeure dans cette maison.

— Moi aussi je sais blanchir le linge. Et où avez-vous pris le dîner hier ?

— Chez le traiteur.

— Je sais faire la cuisine. Je vous ferai à manger.

— Assez, Hélène ! Tu plaisantes. Quelle cuisine saurais-tu faire ?

Elle se tut et baissa les yeux ; ma remarque lui avait fait de la peine. Nous gardâmes tous deux le silence pendant quelques minutes.

— De la soupe, dit-elle tout à coup, sans lever la tête.

— Que dis-tu ? fis-je tout étonné.

— Je sais faire la soupe, j’en faisais à maman quand elle était malade ; j’allais aussi au marché.

— Tu vois, Hélène, tu vois combien tu es fière ! lui dis-je en m’asseyant auprès d’elle. J’agis envers toi comme mon cœur me dit de le faire ; tu es seule, orpheline, malheureuse, je veux te secourir. Toi aussi, tu me secourrais si j’étais malheureux ; cependant tu ne veux pas penser ainsi, et tu trouves pénible d’accepter une bagatelle, tu veux me payer, travailler pour moi, comme si j’étais la Boubnow, comme si je te reprochais quelque chose.

Ses lèvres s’agitèrent comme pour dire quelque mot, mais elle garda le silence.

Je me levai pour aller chez Natacha ; je lui laissai la clef et lui recommandai, si quelqu’un heurtait, de demander qui c’était. Je tremblais qu’il ne fût arrivé à Natacha quelque