Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/164

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soir, votre père a demandé à Natacha de vous faire l’honneur de devenir votre femme, vous avez été transporté de joie, ce dont j’ai été témoin. Votre façon d’agir depuis lors est étrange, avouez-le. Savez-vous le mal que vous lui faites ? Que dans tous les cas ces lignes vous rappellent que votre conduite envers votre future femme est indigne et légère au plus haut degré. Je n’ignore pas que je n’ai aucun droit de vous faire des remontrances, mais c’est le moindre de mes soucis.

« P. S. — Elle ne sait absolument rien de cette lettre et ne m’a pas même parlé de vous. »

Je cachetai ce billet et le laissai sur sa table. Le domestique me dit qu’Aliocha n’était presque jamais chez lui et qu’il ne rentrerait que tard dans la nuit.

Je pus à peine retourner à la maison ; j’avais des éblouissements, et mes jambes fléchissaient sous moi. Je trouvai le vieux Ikhméniew assis devant ma table à m’attendre et regardant Hélène avec étonnement.

Hélène le regardait avec une surprise non moins grande et gardait un silence obstiné. Elle doit lui sembler bien singulière, pensai-je.

— Voilà une heure que je t’attends, dit-il, et je t’avoue que je ne pensais pas te trouver ainsi, ajouta-t-il en examinant la chambre et en clignant légèrement de l’œil du côté d’Hélène. Je remarquai qu’il jetait plus triste et plus agité qu’à l’ordinaire.

— Assieds-toi, continua-t-il, j’ai à te parler. Mais qu’as-tu donc ? Qu’est-ce que c’est que cette figure ? Es-tu malade ?

— Je ne me sens pas bien ; la tête me tourne depuis ce matin.

— Ah ! prends garde, il ne faut pas négliger ces choses-là. Tu auras pris froid.

— Non, c’est tout simplement un accès nerveux. Cela m’arrive fréquemment. Mais vous, vous n’êtes pas non plus bien portant.

— Ce n’est rien… J’ai des ennuis. Assieds-toi.

Je m’assis en face de lui. Il se pencha légèrement vers moi et me dit à demi-voix :

—