Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/165

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Ne la regarde pas, et faisons semblant de parler d’autre chose. Qui est-ce ?

— Je vous le dirai après ; c’est une orpheline, la petite-fille de ce Smith qui demeurait dans cette chambre et qui est mort à la confiserie.

— Tiens ! il avait une petite fille ! Sais-tu qu’elle est très-drôle ? Elle a une manière de vous regarder ! Si tu avais tardé encore cinq minutes, je n’y tenais plus. Elle ne voulait pas m’ouvrir, et jusqu’à présent pas une syllabe. Comment est-elle chez toi ? Elle est sans doute venue chez son grand-père, ignorant qu’il était mort.

— Oui, elle était bien malheureuse. Le vieux a parlé d’elle en mourant.

— Hem ! Tel grand-père, telle petite-fille. Tu me raconteras ça après. Peut-être y aura-t-il moyen de l’aider, puisqu’elle est si malheureuse… Ne pourrait-elle pas nous laisser un peu ? j’ai à te parler d’affaires, de choses sérieuses.

— Où irait-elle ? elle demeure chez moi.

Je lui dis quelques mots pour le mettre au courant, et j’ajoutai que nous pouvions causer devant elle, que c’était encore une enfant.

— Oui, oui… c’est juste. Mais tu m’as abasourdi. Elle est tout à fait chez toi !

La petite restait silencieuse et la tête baissée, tiraillant de ses petits doigts la bordure du canapé ; elle sentait qu’elle faisait le sujet de notre conversation. Elle avait mis sa nouvelle robe, qui était tout à fait à sa taille, s’était peignée avec soin, et n’eût été la sauvagerie de son regard, c’aurait été une charmante petite fille.

— Pour être bref et clair, commença le vieillard, je te dirai que l’affaire qui m’amène est excessivement grave…

Il s’était penché sur la table, le visage sombre et préoccupé, et, malgré la brièveté et la clarté qu’il m’avait annoncées, il ne savait par où entrer en matière.

Où veut-il en venir ? pensai-je.

— Je suis venu te demander un service, reprit-il. Mais il faut d’abord que je t’initie à quelques circonstances excessivement… délicates.