Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/184

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J’avais commencé de parler de mon étourdi, reprit le prince ; je n’ai fait que l’entrevoir dans la rue. Il allait chez la comtesse, et figurez-vous qu’il était si pressé qu’il n’a pas même voulu rentrer une minute avec moi, après quatre jours de séparation ! S’il est en retard, c’est ma faute : ne pouvant pas aller ce soir chez la comtesse, je l’ai chargé d’une commission. Mais il ne tardera pas à arriver.

— Il vous a sans doute promis de venir aujourd’hui, dit Natacha en regardant le prince de l’air le plus ingénu du monde.

— Il ne manquerait plus qu’il ne vînt pas. Comme vous avez dit cela ! s’écria-t-il en la regardant avec surprise. Du reste, je comprends que vous soyez fâchée, c’est très-mal de sa part d’arriver le dernier ; mais c’est ma faute, je vous le répète. Il est léger, étourdi, je ne le justifie pas ; cependant des circonstances particulières exigent que, pour le moment, il ne néglige pas la maison de la comtesse, et de quelques autres connaissances qu’il doit voir le plus possible. Et comme il ne sort probablement plus de chez vous et qu’il a oublié le reste de la terre, je vous demande la permission de vous l’enlever quelquefois, une heure ou deux, pour mes affaires. Je suis sûr qu’il n’est pas retourné chez la princesse K… depuis ce certain jour, je suis fâché de n’avoir pas eu le temps de le lui demander !…

Natacha écoutait le prince avec un sourire légèrement ironique ; mais il parlait avec tant de franchise et de naturel, qu’il semblait impossible de douter de sa sincérité.

— Vous ignoriez vraiment qu’il n’est pas venu me voir une seule fois pendant votre absence ? demanda Natacha d’une voix calme et douce, comme si elle eût parlé de la chose la plus simple du monde.

— Comment ! il n’est pas venu une seule fois ! que dites-vous ? s’écria le prince, qui parut stupéfait.

— Vous avez été ici mardi soir ; le lendemain matin, il est venu en passant, il est resté une demi-heure ; je ne l’ai pas revu depuis.

— Mais c’est incroyable ! (Sa surprise ne faisait qu’augmenter.) Et moi qui pensais qu’il était constamment chez vous.