Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/195

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mon fils, je ne le traiterais pas de cette manière ? Expliquons-nous franchement, une fois pour toutes, afin qu’il ne reste plus aucun malentendu. Lorsque je suis entré, je ne vous ai pas trouvés tels que je m’attendais à vous trouver : une certaine inquiétude était dans l’air. Me trompé-je ? Si je ne me trompe pas, ne vaut-il pas mieux que chacun de nous dise ce qu’il pense ? Que de mal on peut éviter par la franchise !

— Parle, Aliocha ! dit le prince : ce que tu proposes est très-sensé ; c’est peut-être par là que nous aurions dû commencer, ajouta-t-il en regardant Natacha.

— Tu me demandes d’être franc, répondit Aliocha, je le serai ; mais ne te formalise pas de ma franchise. Tu m’as donné ton consentement pour épouser Natacha, tu nous as donné le bonheur, et notre bonheur a exigé que tu te fisses violence à toi-même ; tu as été généreux, et nous apprécions ta noble conduite envers nous, mais pourquoi me faire continuellement sentir, avec un malin plaisir, que je ne suis qu’un ridicule petit garçon ? on dirait que tu veux m’humilier, me noircir aux yeux de Natacha. Tu te réjouis toutes les fois que tu peux me montrer sous un jour ridicule, ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en aperçois. Tu sembles t’efforcer de nous prouver que notre union est absurde, que nous sommes un couple mal assorti. On dirait que tu ne crois pas à la réalisation de ce que tu as décidé pour nous, que ce n’est qu’une plaisanterie, un divertissement, une… comédie… Et ce n’est pas seulement de tes paroles d’aujourd’hui que je tire cette conclusion. Mardi dernier, lorsque, en sortant d’ici, j’allai te rejoindre, tu t’es servi d’expressions singulières qui m’ont surpris et affligé. Le lendemain, en faisant allusion à notre situation, tu as parlé de Natacha, non pas d’une manière offensante, oh ! non, mais à la légère, sans amitié, ni estime, autrement que j’aurais voulu… Dis-moi que je suis dans l’erreur, rends-moi le courage et… à elle aussi ; car tu l’as blessée : je l’ai vu du premier regard quand je suis entré…

Il avait parlé avec chaleur et avec assurance ; Natacha l’avait écouté, sérieuse et les joues brûlantes d’émotion :