Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/221

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Nous sommes toujours seuls, personne ne vient nous voir ; et pourtant nous ne manquons de rien. Il faut bien que les honnêtes gens voient que nous savons vivre comme tout le monde.

— Et surtout qu’ils sachent quelle excellente ménagère et quelle savante organisatrice nous sommes, ajouta Masloboïew. Figure-toi, mon cher, que j’ai dû y passer aussi : elle m’a collé une chemise de toile de Hollande, elle m’a fiché des boutons, mes pantoufles, ma robe de chambre chinoise ; elle m’a peigné et pommadé elle-même ; ça sent la bergamote ; elle voulait encore m’arroser d’une eau parfumée quelconque, de la crème brûlée, je crois ; mais je n’y ai plus tenu, je me suis révolté, j’ai fait appel à mon autorité maritale….

— Pas du tout de la bergamote, mais de l’excellente pommade de France, qu’on vend dans de petits pots de porcelaine avec une guirlande autour, répliqua Alexandra Séménovna, devenant écarlate. Jugez vous-même, Ivan Pétrovitch, reprit-elle, il ne me laisse aller ni au théâtre, ni au bal, et il me fait continuellement cadeau de robes ; que dois-je en faire ? Je fais toilette et je me promène par la chambre. L’autre jour, il m’avait promis de me mener au théâtre, nous étions déjà prêts, je n’ai fait que me tourner pour mettre une broche, et le voilà devant le buffet : il prend un verre, un second, et il se grise : nous sommes restés à la maison. Personne ne vient nous voir, personne. En attendant, nous avons un beau samovar en tombac, un joli service, de belles tasses : des cadeaux qu’on nous a faits. Tout le temps je me dis : Il viendra des visites, de vraies visites : nous leur montrerons tout ce que nous avons, nous les accueillerons si bien qu’elles en seront satisfaites et que nous en aurons du plaisir nous-mêmes. Mais personne ! Pourquoi est-ce que je l’ai pommadé, l’imbécile ? il en vaut bien la peine ! Regardez cette robe de chambre, c’est un cadeau qu’on lui a fait : n’est-ce pas trop beau pour lui ? Se mettre dans les vignes, voilà ce qu’il lui faut. Vous allez voir qu’il demandera de l’eau-de-vie avant de prendre le thé.

— Tiens ! c’est juste ! Buvons, Vania, buvons un verre de