Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/220

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tincelaient comme des rubis ou qui brillaient comme de l’ or.

Enfin un petit guéridon portait deux vases dans lesquels plongeaient deux bouteilles de Champagne, tandis que sur une dernière table devant le canapé se pavanaient trois bouteilles des meilleures et des plus chères de la cave Élisséiew, l’une de vin de Sauterne, l’autre de laffitte et la troisième de cognac.

Alexandra Séménovna était assise à la table où l’on devait prendre le thé ; sa toilette simple lui allait à ravir, elle le savait et ne pouvait s’empêcher d’en être un peu fière ; lorsqu’elle se leva gravement pour me recevoir, la satisfaction et la joie brillaient sur ses joues fraîches. Masloboïew était vêtu d’une superbe robe de chambre et chaussé de magnifiques pantoufles chinoises. Le jabot et les manchettes de sa chemise étaient garnis de boutons à la mode ; il y en avait partout où l’on avait pu en accrocher. Ses cheveux étaient peignés, pommadés et séparés par une raie sur le côté, aussi d’après la mode.

J’étais si ébahi que je restai au milieu de la chambre à regarder, la bouche grande ouverte, tantôt Masloboïew, tantôt Alexandra Séménovna, dont le contentement allait jusqu’à la béatitude.

— Qu’est-ce que cela signifie, Masloboïew ? As-tu aujourd’hui une soirée ? m’écriai-je enfin tout inquiet.

— Non, nous serons seuls, répondit-il avec majesté.

— Alors, pourquoi cela ? demandai-je en montrant les tables préparées. Il y a là de quoi nourrir tout un régiment.

— Et surtout de quoi l’abreuver…

— Et tout cela pour moi seul !

— Et pour Alexandra Séménovna, car c’est là son œuvre.

— Ah ! j’en étais sûre ! s’écria Alexandra Séménovna, qui rougit tout en conservant sa mine satisfaite. On ne peut recevoir convenablement un convive sans qu’il ait quelque reproche à me faire.

— Figure-toi que ce matin, depuis qu’elle a su que tu viendrais, elle n’a plus rien fait que s’agiter, qu’être dans des transes !…

— Quel mal y a-t-il à recevoir les gens convenablement ?