Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/244

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aimait ceux qui pensaient, voire qui désiraient pour lui, et Katia l’avait pris en tutelle. Il se laissait subjuguer par tout ce qui est honnête et beau, et Katia lui était apparue avec toute sa sincérité d’enfant et toute sa sympathie. N’ayant pas le moindre vouloir, tandis qu’elle avait une volonté forte, enflammée, persévérante, Aliocha ne pouvait s’attacher qu’à quelqu’un qui pût le dominer et lui commander : c’avait été l’origine de son attachement pour Natacha. Katia avait d’ailleurs un immense avantage sur sa rivale : elle était enfant et paraissait devoir le rester longtemps encore. Cette qualité, jointe à la vivacité de son esprit, la rendait en quelque sorte plus l’égale d’Aliocha. Il le sentait bien, et c’était ce qui l’attirait de plus en plus. Je suis sur que lorsqu’ils s’entretenaient seuls, les sérieuses paroles de propagande de Katia n’empêchaient pas leur conversation d’arriver parfois au thème joujoux : et quoique Katia le réprimandât souvent, qu’elle le tint à la lisière, il était évidemment plus à l’aise avec elle qu’avec Natacha ; ils étaient plus égaux, plus semblables, et c’était là l’important. Aliocha se leva et tendit la main à Katia.

— Assez, Katia, assez, lui dit-il. Tu as toujours raison, et moi toujours tort. Je me rends sur-le-champ auprès de Natacha, sans passer chez Lévinka…

— Tu n’as rien à y faire, et tu es bien gentil de suivre mon conseil.

— Et toi, tu es mille fois plus gentille que toute autre, ajouta-t-il d’un ton triste. Ivan Pétrovitch, me dit-il à l’oreille, je voudrais vous dire deux mots.

— Je me suis conduit aujourd’hui d’une manière éhontée, me dit-il à l’oreille. Cette après-dînée mon père m’a fait faire la connaissance d’Alexandrine (une ravissante Française). Je me suis laissé entraîner et… c’est affreux ! Adieu, Ivan Pétrovitch.

— Commençons par faire nos conventions, me dit Katia quand Aliocha fut parti ; que pensez-vous du prince ?

— Je le crois profondément mauvais.

— Moi aussi. Nous voilà déjà d’accord sur un point, et nous aurons plus de facilité à juger ensuite. Maintenant, parlons