Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/245

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de Natalie Nicolaïevna… Ivan Pétrovitch, je suis comme dans les ténèbres, et je vous attendais comme la lumière ; il faut que vous m’éclairiez dans toute cette affaire, car sur presque tous les points je suis obligée de juger sur des conjectures, sur ce qu’Aliocha m’a raconté. Dites-moi d’abord, ce que vous pensez d’Aliocha et de Natacha. Croyez-vous qu’ils soient heureux ensemble ?

— Je ne crois pas qu’ils puissent être heureux.

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils ne se conviennent pas.

— C’est ce que je pensais, dit-elle avec tristesse. Je voudrais bien voir Natacha. Je me la représente quelquefois : elle doit être spirituelle, sérieuse, droite de caractère et, de plus, jolie. Est-elle ainsi ?

— Exactement.

— J’en étais sure. Maintenant, expliquez-moi comment elle a pu aimer un enfant comme Aliocha : je me le suis souvent demandé.

— Il y a des choses qu’on ne saurait expliquer, Catherine Féodorovna : pourquoi et comment devient-on amoureux ? Aliocha est un enfant, vous avez raison, mais vous savez aussi combien on peut aimer un enfant. (Elle me regardait avec une attention sérieuse et impatiente, je me sentais attendri.) Aliocha est droit, franc, effroyablement naïf, quelquefois avec une certaine grâce ; elle l’a peut-être aimé… comment dire cela ?… par une espèce de pitié : les cœurs généreux peuvent aimer par pitié… D’ailleurs, vous-même, ne l’aimez-vous pas ?

Je lui avais posé cette question hardiment ; mais je sentais que la promptitude que j’y avais mise ne troublerait pas la pureté de cette âme candide.

— Mon Dieu, je ne sais pas encore, répondit-elle tout bas en me regardant de son regard serein, il me semble que je l’aime…

— Vous voyez ! Maintenant, pourriez-vous expliquer pourquoi ?

— Il est tout franchise, tout sincérité, répondit-elle après avoir un peu réfléchi ; quand il me regarde tout droit dans