Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/256

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Tout cela était prémédité, préparé dans un but quelconque ; mais ma position me forçait à le subir jusqu’au bout, quoi qu’il dût m’en coûter : les intérêts, de Natacha l’exigeaient, je devais être prêt à tout entendre, à tout supporter, la situation pouvant arriver à une solution d’un instant à l’autre. Mais comment supporter de sang-froid ces plaisanteries cyniques, infâmes, à l’adresse de Natacha ? Il voyait bien que j’étais obligé de l’écouter jusqu’à la fin, ce qui rendait l’insulte plus sanglante : « Du reste, me dis-je, lui aussi a besoin de moi. » Et je me mis à lui répliquer d’un ton tranchant et injurieux. Il comprit mon intention.

— Voyez, mon jeune ami, reprit-il en me regardant d’un air sérieux, nous ne pouvons pas continuer sur ce ton, faisons un accord, cela vaudra mieux. J’ai l’intention de vous dire le fond de ma pensée, encore faut-il que vous ayez l’amabilité d’être prêt à entendre n’importe quoi. Je veux pouvoir parler à ma guise, comme il me plaira, et, dans les circonstances actuelles, cela est indispensable. Ainsi, mon jeune ami, voulez-vous être patient ?

Je me fis violence et me lus, malgré que son regard sarcastique et moqueur semblât vouloir provoquer la plus violente protestation. Il comprit que je consentais à rester.

— Ne vous fâchez pas contre moi, mon ami, reprit-il ; pourquoi vous fâcheriez-vous ? Uniquement contre la forme de mon langage, n’est-il pas vrai ? Vous n’avez, au fond, pas attendu autre chose de moi, et que je vous parle avec une politesse parfumée ou bien comme à présent, le sens n’en reste pas moins absolument le même. Vous me méprisez, n’est-ce pas ? Voyez quelle dose d’ingénuité, de franchise, de bonhomie je possède, je vous dévoile jusqu’à mes caprices les plus enfantins. Vraiment, mon cher, si vous voulez bien y mettre aussi un peu plus de bonhomie, nous tomberons facilement d’accord. Ne vous étonnez pas à mon endroit : toutes ces innocences, toutes ces idylles d’Aliocha, toute cette poésie à la Schiller, toutes ces sublimités de cette maudite liaison avec cette Natacha (une charmante fille, d’ailleurs) m’ennuient à tel point que je suis pour ainsi dire malgré moi enchanté d’avoir l’occasion de faire