Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/278

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Oh ! chère enfant, ne pleurez pas, s’écria le docteur. Ce n’est rien… cela vient des nerfs… tenez, prenez une gorgée d’eau fraîche.

Mais Nelly ne l’écoutait pas.

— Calmez-vous… ne vous désolez pas, reprit le bon vieillard prêt a pleurer avec elle, car c’était vraiment le meilleur des hommes. Je vous pardonne, et je vous épouserai quand vous serez grande, si vous voulez être une brave et honnête fille…

— Prendre mes poudres ? s’écria Nelly. Et un rire qui m’était bien connu, un rire nerveux, faible et argentin comme le son d’une clochette, entrecoupé de sanglots, retentit de dessous la couverture.

— Bonne et affectueuse enfant ! dit le docteur, qui, triomphant de ce bon mouvement de la petite, avait peine à retenir ses larmes ; pauvre petite fille !

À partir de ce moment s’établit entre eux une étonnante et étrange sympathie, tandis qu’avec moi Nelly devenait de plus en plus sombre, nerveuse et irritable. Je ne savais à quoi attribuer ce changement, d’autant plus surprenant qu’il avait été subit et inattendu : pendant les premiers jours de sa maladie, elle avait été tendre et caressante, elle semblait ne pouvoir se rassasier de me regarder, ne me permettait pas de m’éloigner, prenait ma main dans sa main brûlante, me faisait asseoir auprès d’elle ; lorsqu’elle me voyait triste ou agité, elle s’efforçait de m’égayer, plaisantait, jouait avec moi et me souriait, malgré la violence de ses souffrances.

Elle ne voulait pas me laisser travailler la nuit, ni veiller auprès d’elle, et se chagrinait de ce que je ne l’écoutais pas. Elle avait par moments l’air soucieux, me questionnait, voulait savoir pourquoi j’étais triste et quelles étaient les pensées qui m’obsédaient. Et, chose étonnante ! dès que je parlais de Natacha, elle se taisait ou changeait de conversation.

Quand je rentrais, elle se réjouissait, et elle était toute triste quand elle voyait que je me disposais à sortir ; elle m’accompagnait alors d’un regard étrange plein de reproches.