Pendant ce temps, la querelle s’envenimait de plus en plus. Les officieux ne s’endormaient pas. Il se trouva des dénonciateurs et des témoins qui réussirent à prouver au prince que la manière dont Ikhméniew avait administré ses propriétés était loin de pouvoir offrir un modèle d’honnêteté. On alla même jusqu’à affirmer que trois ans auparavant, lors de la vente d’une forêt, Ikhméniew avait empoché douze mille roubles, ce qu’on pouvait établir par les témoignages les plus évidents, les plus légaux, et cela d’autant plus facilement que, n’ayant aucune procuration du prince pour cette opération, il avait agi de sa propre initiative, et avait su convaincre après coup le prince de la nécessité de cette vente, pour laquelle il avait porté en compte une somme de beaucoup inférieure à celle qu’il avait reçue en réalité.
C’étaient là de pures calomnies, ce fut prouvé plus tard ; mais le prince crut tout, et en présence de témoins il traita Ikhméniew de voleur. Celui-ci ne supporta pas un pareil affront et répliqua sur le même ton ; une scène effroyable suivit, et l’on entama un procès.
Ikhméniew vit bientôt sa cause perdue ; il lui manquait certains papiers, et, avant tout, des protections ; il était totalement inexpérimenté dans la marche de pareilles affaires : il perdit donc son procès, et sa propriété fut mise sous séquestre.
Le vieillard exaspéré quitta tout et transporta son domicile à Pétersbourg, afin de s’occuper de son affaire ; il laissa dans sa terre un homme entendu en qui il avait pleine confiance et alla s’établir dans la capitale.
Le prince s’aperçut bientôt, j’en suis sûr, qu’il avait gratuitement insulté Ikhméniew ; mais l’offense avait été si violente de part et d’autre qu’il n’y avait plus place pour une parole de conciliation, et le prince, irrité, fit tous ses efforts pour faire tourner la chose à son profit, ce qui équivalait à enlever à son ancien intendant son dernier morceau de pain.