Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/324

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Non, dit Nelly, je n’ai personne.

— C’est ce que l’on m’a dit. Depuis quand ta mère est-elle morte ?

— Il n’y a pas longtemps.

— Chère petite colombe ! tu n’as plus personne ?poursuivit la bonne vieille en regardant l’enfant avec compassion, pendant que son mari tambourinait avec ses doigts sur la table.

— Sa mère était étrangère, n’est-ce pas, Ivan Pétrovitch ? me demanda-t-elle avec hésitation.

Nelly leva les yeux sur moi. Sa respiration était pénible et inégale.

— Sa mère, Anna Andréievna, dis-je comme introduction, sa mère était fille d’un Anglais et d’une Russe. Nelly est née à l’étranger.

— Sa mère était-elle allée à l’étranger avec son mari ? demanda Anna Andréievna.

À la rougeur qui couvrit subitement les joues de Nelly, la bonne vieille vit qu’elle avait effleuré une question délicate, qu’elle avait donné dans un guêpier.

Son mari lui jeta un regard sévère qui la fit tressaillir, puis il se tourna vers la fenêtre.

— Sa mère a été trompée par un homme lâche et méchant, dit-il tout à coup en s’adressant à sa femme. Elle s’était enfuie avec lui de la maison paternelle et lui avait remis l’argent qu’elle avait emporté en partant et qui appartenait à son père ; son amant, après avoir obtenu cet argent à force de ruse et de mauvaise foi, l’avait emmenée à l’étranger, où il l’avait volée et abandonnée. Un homme de cœur la secourut et ne la délaissa pas jusqu’au moment où il mourut, il y a deux ans. La pauvre malheureuse voulut alors retourner chez son père. N’est-ce pas ainsi que tu m’as raconté, Vania ? demanda-t-il.

Nelly, en proie à la plus grande émotion, se leva et fit quelques pas dans la direction de la porte.

— Viens auprès de moi, Nelly, dit le vieillard en lui tendant enfin la main. Assieds-toi ici, près de moi. Il se pencha sur elle, la baisa au front et se mit à lui passer la main sur