Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/325

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les cheveux. Nelly était toute tremblante, mais elle se fit violence. Anna Andréievna, remplie de joie et d’espoir, regardait son mari, qui s’était enfin laissé attendrir et caressait l’orpheline.

— Je sais, Nelly, que cet homme méchant et perverti a perdu ta mère ; je sais qu’elle aimait son père et qu’elle le respectait, reprit-il en proie à une violente émotion. Il continuait à caresser l’enfant en prononçant ces paroles, qu’il nous jeta comme une sorte de défi. Une légère rougeur colorait ses joues pâles jusqu’alors, et il évitait nos regards.

— Maman aimait grand-papa plus que grand-papa ne l’aimait, dit Nelly d’une voix sourde.

— Qu’en sais-tu ? demanda vivement le vieillard, qui ne se maîtrisait pas aussi bien que l’enfant.

— Je le sais : il n’a pas voulu revoir maman… il l’a chassée… reprit Nelly d’une voix saccadée.

Nicolas Serguiévitch voulut répliquer ; il aurait dit, sans doute, que le grand-père avait eu ses raisons de ne pas accueillir sa fille ; mais il nous regarda et se tut.

—– Où demeuriez-vous lorsque ton grand-papa a refusé de vous prendre chez lui ? demanda Anna Andréievna, qui voulait à tout prix que l’entretien continuât.

— À notre arrivée, nous avons longtemps cherché grand-papa, sans pouvoir le trouver, répondit Nelly. Autrefois il était très-riche, il avait même voulu établir une fabrique ; mais alors il était très-pauvre, parce que celui avec qui maman était partie lui avait pris tout l’argent de grand-papa et ne le lui avait pas rendu. C’est maman qui me l’a dit…

— Hem !… fit le vieillard.

— Elle m’a dit aussi, poursuivit Nelly qui s’animait de plus en plus et qui, tout en s’adressant à Anna Andréievna, semblait vouloir répondre à Nicolas Serguiévitch, elle m’a dit que grand-papa était extrêmement fâché contre elle, qu’elle avait tous les torts, qu’elle était bien coupable envers lui et qu’elle n’avait plus personne au monde, excepté lui. Pendant qu’elle me disait cela, elle ne cessait de pleurer… « Il ne me pardonnera pas, à moi, disait-elle