Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/349

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monde, même plus que toi… Vania, ajouta-t-elle en baissant la tête et en serrant ma main. Nous fîmes deux fois le tour du jardin.

— Masloboïew est venu hier, et nous l’attendons aujourd’hui, reprit-elle après un instant de silence.

— Oui, il s’est beaucoup accoutumé à vous depuis quelque temps.

— Tu ne sais pas pourquoi il vient ? Maman a confiance en lui comme en nul autre. Elle pense qu’il est au courant des lois et règlements au point de pouvoir mener toute affaire à bonne fin. Tu ne devinerais pas la pensée qui l’occupe maintenant ? Elle regrette que je ne sois pas devenue princesse. Cette pensée ne la quitte pas, et je suppose qu’elle en a fait part à Masloboïew, croyant que peut-être il pourrait faire quelque chose en ayant recours à la loi. Masloboïew ne la contredit pas, à ce qu’il paraît, et elle… lui donne de l’eau-de-vie, ajouta-t-elle en souriant.

— Le farceur a su s’y prendre. Comment sais-tu la chose ?

— Par maman, qui ne peut pas s’empêcher de faire des allusions…

— Nelly ? comment va-t-elle ?

— Tu es étonnant, ce n’est qu’à présent que tu penses à elle ! me dit-elle d’un ton de reproche.

Nelly était l’idole de la maison. Natacha l’aimait avec passion, et Nelly avait fini par se donner à elle cœur et âme. Pauvre enfant ! elle ne s’attendait pas à rencontrer jamais pareilles gens, à trouver autant d’amour, et je voyais avec joie que son petit cœur irrité s’était attendri et que son âme s’était ouverte, Elle répondait à l’affection générale qui l’entourait avec une ardeur maladive diamétralement opposée à la défiance, à l’animosité et à l’obstination d’autrefois. Elle avait résisté longtemps ; longtemps elle avait étouffé les larmes de réconciliation qui s’amassaient en elle ; mais elle avait fini par se rendre. Elle s’était d’abord attachée à Natacha, puis à Ikhméniew. Quant à moi, je lui étais devenu si nécessaire que son mal empirait lorsqu’elle était quelques jours sans me voir, et la dernière fois que je l’avais quittée, j’avais été obligé d’employer toutes sortes de détours, de faux-fuyants,