Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/57

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d’eux. Ah ! pourquoi ne pouvons nous pas tous être heureux ? Pourquoi ?… Mon Dieu, qu’ai-je fait ? s’écria-t-elle tout à coup, comme si elle fût revenue à elle, et elle se couvrit le visage de ses mains. Aliocha la prit et la serra dans ses bras, et nous gardâmes le silence pendant quelques minutes.

— Et vous avez pu exiger un pareil sacrifice ? m’écriai-je en jetant à Aliocha un regard de reproche.

— Ne me condamnez pas, répliqua-t-il, tous ces malheurs ne dureront qu’un instant, j’en suis intimement persuadé. Il ne faut qu’un peu de fermeté pour supporter cet instant ; Natacha pense de même. Vous savez que la cause de tout, c’est cet orgueil de famille, ces querelles dont on aurait si bien pu se passer, ces procès… Mais… (j’y ai longuement réfléchi, je vous assure)… tout cela prendra fin, nous serons de nouveau tous réunis, et nos parents nous voyant si heureux se réconcilieront avec nous. Qui sait si notre mariage ne sera pas le commencement de leur réconciliation ? Je crois qu’il n’en saurait être autrement. Qu’en pensez-vous ?

— Vous parlez de mariage ; mais quand vous marierez-vous ? demandai-je en regardant Natacha.

— Demain ou après-demain, au plus tard ; je ne le sais pas encore bien moi-même, et je n’ai encore rien arrangé, c’est vrai. Je pensais que Natacha ne viendrait peut-être pas aujourd’hui. Outre cela, mon père voulait me conduire ce soir chez ma fiancée (vous savez qu’on veut me marier, Natacha vous l’a dit, n’est-ce pas ? Mais moi, je ne veux pas). Ainsi, je ne pouvais compter sur rien d’une manière certaine. Dans tous les cas, nous nous marierons après-demain. C’est, du moins, ce qu’il me semble, car cela ne peut pas être autrement. Demain nous partons par la route de Pskow ; j’ai un de mes camarades d’études du lycée, un excellent garçon, qui demeure par là. Nous trouverons un prêtre dans le village voisin ; du reste, je ne sais pas pour sûr s’il y en a un. Il m’aurait fallu m’informer d’avance, mais je n’ai pas eu le temps… Mais c’est là un détail. Nous pouvons en faire venir un d’un village voisin, n’est-ce pas ? Il est dommage que je n’aie pas eu le temps d’écrire quelques lignes, j’aurais dû prévenir… Mon ami n’est peut-être