nuit, je l’entends pleurer. Mais quand il n’est plus seul, il est de pierre, l’orgueil le retient. Dis-moi vite d’où il vient.
— J’allais vous le demander…
— J’ai été effrayée quand je l’ai vu sortir par un pareil temps. Il faut qu’il ait quelque chose de bien important, me disais-je, et que pourrait-il avoir, sinon ce que vous savez ? Je crains, je n’ai pas le courage de le questionner, je vis dans des transes continuelles pour elle et pour lui. Je me dis qu’il est peut-être auprès d’elle, qu’il a résolu de pardonner. Il sait tout, même les choses les plus récentes, comment ? je l’ignore. Il s’est beaucoup tourmenté hier et aujourd’hui. Vous ne dites rien ? Est-il encore arrivé quelque chose là-bas ? Je vous ai attendu comme le Messie. Dites, est-ce que le scélérat abandonnerait Natacha ?
Je racontai ce que je savais avec la franchise dont j’usais d’ordinaire, et je lui dis qu’en effet il se préparait quelque chose comme une rupture, qu’il y avait des dissentiments plus sérieux qu’auparavant, et que Natacha m’avait écrit pour me supplier d’aller la voir ce soir même, ce qui faisait que je ne serais pas venu la voir, elle, si son mari ne m’avait amené.
Je lui expliquai que la situation était critique : le prince, de retour de voyage, avait énergiquement entrepris son fils, et celui-ci paraissait avoir moins de répulsion pour la fiancée qu’on lui destinait ; on disait même qu’il en était amoureux. Natacha avait écrit dans un moment d’extrême agitation : elle disait que la soirée de ce jour devait décider de tout. Que signifiait cela ? Je n’en savais rien. C’est pourquoi je n’avais qu’à me rendre auprès d’elle à l’heure fixée, et je n’avais pas de temps à perdre.
— Va vite, cher ami, vas-y sans faute ; dès qu’il sera revenu, tu prendras une tasse de thé… Ah ! on n’apporte pas la bouilloire. Matriona ! et le samovar, coquine !… C’est entendu, tu vas prendre une tasse, puis trouve un prétexte plausible et te sauve. Et ne manque pas de venir tout me raconter demain, de bonne heure. Grand Dieu ! s’il allait lui arriver quelque nouveau malheur !
Mon mari est au courant de tout ce qui se passe, je le sens. Aujourd’hui, il est de mauvaise humeur, il a failli se