— D’où viens-tu si tard ?
— Je viens de chez eux. (C’est ainsi que nous nous désignions ses parents.)
— De chez eux ? Comment as-tu encore trouvé le temps de venir me voir ? T’avaient-ils invité ?
Elle me fit subir un véritable interrogatoire. Je lui racontai ma rencontre avec le vieillard, ma conversation avec sa mère, la scène du médaillon, sans omettre aucun détail ; car je ne lui cachais jamais rien. Elle m’écoutait, fiévreuse, buvant mes paroles, et les yeux gonflés de larmes ; la scène du médaillon la jeta dans une violente émotion.
— Penses-tu vraiment qu’il ait voulu venir ici ? me demanda-t-elle après un moment de silence.
— Je ne sais, Natacha, je n’en ai pas la moindre idée. Je suis sûr qu’il t’aime et qu’il souffre de t’avoir perdue ; mais qu’il ait voulu venir te voir, ça…
— Et il a baisé le médaillon ? interrompit-elle. Et que disait-il ?
— Ce n’étaient que des paroles entrecoupées, des exclamations ; il te donnait les noms les plus tendres, t’appelait.
— Il m’a appelée !
Elle se mit à pleurer en silence.
— Pauvres parents ! dit-elle. S’il est instruit de tout, ajouta-t-elle après un moment de silence, ce n’est pas étonnant. Il a aussi appris beaucoup de choses sur le père d’Aliocha.
— Natacha, lui dis-je timidement, viens-y avec moi, veux-tu ?
— Quand cela ? s’écria-t-elle en pâlissant et en se soulevant de son fauteuil. Non, reprit-elle en me mettant les deux mains sur les épaules et avec un sourire plein de tristesse ; non, cher ami ; tu y reviens tous les jours, n’en parlons plus… cela vaudra mieux.
— Cela ne finira donc jamais ! m’écriai-je désolé. As-tu trop d’orgueil pour faire le premier pas ? Ton père n’attend peut-être que cela pour pardonner… C’est à toi de commencer, c’est toi qui l’as offensé ! Respecte sa fierté, elle est juste, elle est naturelle ! Viens ! il te pardonnera sans condition.