Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/92

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qui plaisent. Il faudra pourtant avoir fini pour le terme fixé par la rédaction.

— Pauvre travailleur ! Je crois sérieusement que tu es malade : tu as les nerfs détraqués. N’as-tu pas revu Smith ? tu as des visions si étranges ! Ton logement est malsain, humide, n’est-ce pas ?

— Oui, il m’y est encore arrivé ce soir une… du reste, je te conterai cela plus tard, ajoutai-je en voyant qu’elle ne m’écoutait pas.

— Comment ai-je pu partir de chez eux ? reprit-elle interrompant sa rêverie, c’est la fièvre qui me faisait agir… Je t’ai demandé de venir pour te dire que je le quitte.

— Tu le quittes ou tu l’as quitté ?

— Il faut en finir, c’est assez de cette vie. Je t’ai appelé pour te dire tout ce que j’ai sur le cœur, tout ce que je t’ai caché jusqu’à présent. Elle commençait toujours ainsi lorsqu’elle voulait me faire quelque confidence, et presque toujours il se trouvait que je connaissais son secret depuis longtemps.

— Ah ! Natacha, je t’ai déjà entendue mille fois parler de la sorte. C’est quelque chose d’étrange que votre liaison : il n’y a rien de commun entre vous. Il est clair que vous ne pouvez continuer de vivre ensemble. Mais… auras-tu la force de le quitter ?

— Jusqu’à présent, ce n’était qu’un projet ; maintenant ma résolution est prise. Je l’aime d’un amour infini, et pourtant je suis sa plus grande ennemie et je ruine son avenir. Je veux lui rendre sa liberté. Il ne peut m’épouser ; il n’est pas assez fort pour aller contre le gré de son père. Je ne veux pas non plus le tenir lié, et je suis même bien aise qu’il se soit épris de la fiancée qu’on lui donne : la séparation lui sera moins pénible. Il est de mon devoir d’agir ainsi. Puisque je l’aime, il faut que je lui sacrifie tout, pour lui prouver mon amour. Ne penses-tu pas comme moi ?

— Mais pourras-tu le persuader ?

— Je n’essayerai pas de le faire. S’il entrait en ce moment, je serais pour lui comme toujours. Mais il faut trouver un moyen qui lui permette de me quitter sans remords. C’est