Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

je ne serais plus que l’un de vous, vivant dans un état de division avec vous et avec moi-même. »

Ils objectent que le peuple n’est pas fait pour le Roi, mais bien le Roi pour le peuple. Il répond que c’est justement là sa pensée, et que voilà pourquoi il ne renonce pas au difficile métier qui est le sien ; qu’eux ne sont ni le peuple ni le Roi, et que le Roi ne fait pas son devoir en obéissant aux ordres d’une faction. Ils objectent encore, et lui répond que l’entretien est fini et qu’il ne fait pas de marchandages.

On en est là. Tous les raisonnements des visiteurs ne rencontrent qu’un silence obstiné. Il est aujourd’hui évident que Henri V n’est pas sorti de son programme. Ce n’est point par hauteur qu’il tient bon encore, c’est par conviction. L’anarchie ne se guérit que par la monarchie, qui est l’état naturel des Français. Il ne s’agit pas de théories plus ou moins ingénieuses qui vont contre la nature du pays. La monarchie peut rétablir l’ordre ; tout autre système ne peut que l’imposer pour un temps. La France a été libre sous la monarchie, de même qu’un homme se porte bien quand il obéit aux exigences de son tempérament. Henri V semble dire : « Je suis beaucoup et je puis beaucoup, grâce au principe que je représente. Sans ce principe, je ne suis rien, je ne puis rien et ne me mêle plus de vous sauver. Avec ce principe, j’épurerai l’air vicié qui vous tue ; sans ce principe, je ne suis qu’un expédient et je tombe aux expédients, continuellement contrarié par vous. Gardez M. de Broglie, gardez M. Thiers, essayez de M. Gambetta ; je n’ai plus rien à y voir.

« Mon drapeau vous épouvante ? Vous avez tort. En tout cas, j’y tiens et vous devez comprendre que j’ai raison. Je vous ai annoncé que je l’arborerais ; ce n’est ni bravade ni caprice. Au seul point de vue politique, la nécessité me l’impose. C’est tout ce que je réclame pour le massacre des miens et pour mon long exil. Il est la figure et le symbole de mon principe. En vous le voyant porter, je sentirai que la réconciliation est faite et sincère, que vous avez oublié vos offenses et que j’ai pardonné le mal que vous m’avez fait. Si j’abandonnais