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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/12

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Il fallait tâcher d’effacer cette fâcheuse impression. Et plusieurs des nôtres ont pris à cœur d’y parvenir depuis un siècle et demi. M. Gretsch, par exemple, est allé en France, d’où il nous adressait des « Lettres Parisiennes ». Nous savons de lui qu’il tâchait de tirer les Français d’erreur, qu’il causait avec Sainte-Beuve, avec Victor Hugo… « J’ai dit sans détour à Sainte-Beuve », écrivait-il ; « J’ai déclaré sans détour à Victor Hugo »… Nous ne nous rappelons plus tout ce que M. Gretsch racontait si ouvertement à Sainte-Beuve et à Victor Hugo (il faudrait consulter les « Lettres Parisiennes ») ; en tout cas, il nous souvient qu’il incriminait parfois devant eux l’immoralité de la littérature française. Vous pensez si Sainte-Beuve devait ouvrir de grands yeux ! — D’ailleurs nous sommes rassurés.

Les Français sont un peuple extrêmement poli, de mœurs douces, et M. Gretsch revint de Paris sans la moindre égratignure. Ajoutons qu’on aurait, peut-être, tort de juger tous les Russes sur l’échantillon qu’en fournissait M. Gretsch. Mais assez sur ce personnage.

D’autres que lui prirent à tâche d’éclairer l’étranger, entre autres nos officiers de cavalerie en retraite, gens gais et débonnaires, qui avaient, jadis, aux revues, ébloui le public féminin par la beauté de leurs formes moulées dans des uniformes collants. Beaucoup de membres de notre jeunesse dorée allèrent aussi semer la bonne parole ; ceux-là n’avaient servis dans aucune arme, mais parlaient abondamment de leurs terres. Nos gentilshommes campagnards ne demeurèrent pas en retard : ils partaient avec toute leur famille et toutes leurs malles ; ils grimpaient placidement dans les tours de Notre-Dame, regardaient de là Paris, puis, redescendus, couraient après les grisettes, derrière le dos de leurs femmes.

De vieilles dames, devenues sourdes et privées de dents, passaient là-bas le reste de leur vie et perdaient entièrement l’usage de la langue russe, qu’elles connaissaient peu d’ailleurs auparavant.

Nos gandins, « fils de famille », nous revenaient au courant de toutes les intrigues politiques de Lord Palmerston, de tous les potins français, et l’on en voyait qui,