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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

(certains journaux la qualifient ainsi) atteste, en tout cas, chez l’orateur et ses amis, une confiance aveugle dans la victoire de la monarchie. Il nous semble qu’avec des vues moins optimistes, un personnage officiel aussi haut placé aurait montré plus de réserve.

Quoi qu’il en soit, je crois que dans fort peu de temps, dans trois semaines, nous pourrons avoir des surprises.

Veuillot nous a tracé de Henri V un portrait fort noble. Il se peut que le comte de Chambord refuse le trône pour ne pas trahir ses principes. Mais il n’est pas impossible qu’en dépit de la question du drapeau, le prétendant obtienne, après un vote de l’Assemblée, une majorité quelconque, supposons-la très petite, d’une à dix voix. Il pourrait arriver qu’en présence d’un succès si minime, presque honteux, Henri V ne se décidât pas à accepter la couronne. Mais alors qui saurait empêcher les Jésuites de venir calmer ses scrupules en lui représentant que l’occasion est peut-être unique, que le peuple est déshabitué de la royauté, qu’il est grossier, sans clairvoyance, en partie même non baptisé ; que, dans le cas improbable où il se révolterait, il faudrait se servir de l’obéissance du maréchal de Mac-Mahon et monter malgré tout sur le trône, ne fût-ce que pour, enfin, baptiser ce peuple obtus et insensé et le rendre religieux et heureux malgré lui ?

Nous préférerions, certes, voir le comte de Chambord inébranlable dans ses principes, car alors il y aurait de par le monde un homme ferme et magnanime de plus, et il est bon que les peuples aient le plus souvent possible l’exemple de tels hommes devant les yeux…

… Maintenant il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce que les républicains eûssent le dessus au dernier moment… Dans ce cas on dissoudrait l’Assemblée actuelle, et la République ne tarderait pas à être définitivement proclamée.

Mais laissons de côté pour l’instant cette hypothèse et occupons-nous d’une question des plus intéressantes et qui appartient à un ordre de faits beaucoup plus probables.

Supposons tout d’abord que le comte de Chambord soit déjà