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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

mettre sur pied des troupes cinq fois plus considérables. Mais Gambetta pourrait répondre qu’à sa place, ses critiques auraient peut-être dépensé encore cinq fois plus sans fournir un seul soldat.

En bien, cet homme de valeur et d’énergie avec qui Bazaine eût pu collaborer sans honte, cet homme qui a beaucoup travaillé pour la France est encore, pourtant, un sectaire qui met la République au-dessus de la France. Il l’a presque avoué naguère. Il ne dirait plus une chose pareille, à présent qu’il attend patiemment et sagement son tour, qu’il a le bon sens de soutenir chaleureusement le grand citoyen Thiers qui, cependant, l’a destitué il y a trois ans. Mais dans son âme et conscience, je suis sûr qu’il demeure toujours avant tout homme de parti. (On dit même que c’est cette qualité qui le rend si cher à la masse des républicains.)

Donc toujours les partis et les hommes de parti ! (Il est vrai que, pendant cette année funeste, surgirent quelques phénomènes consolants. Des Chouans bretons, légitimistes nés, vinrent, leurs chefs en tête, combattre pour la patrie et luttèrent vaillamment sous l’image de la Vierge qui ornait leurs drapeaux, unis pour quelque temps au gouvernement des républicains et des athées. Les ducs d’Orléans combattirent aussi l’ennemi dans les rangs républicains.) Malheureusement ces derniers gâtent la belle opinion qu’on aurait pu se faire de leur patriotisme désintéressé d’alors, en coopérant à l’agitation royaliste. On comprend qu’en 1870 ils ont surtout vu une occasion de revenir sur l’eau.

Mais la plaie de la France, c’est la perte de cette idée que l’union est nécessaire, et ce sont encore des hommes de parti qui jugent le maréchal Bazaine et lui reprochent d’être demeuré fidèle à son parti, à lui. En condamnant Bazaine, vont-ils comprendre cela, les Français.