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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/156

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

et s’étonne de la trouver aussi froide que le mur. Le corps semble inerte.

« C’est parce qu’il fait trop froid ici, » murmure-t-il, et il attend, oubliant que sa main est posée sur l’épaule de la morte… Puis il se relève, souffle dans ses doigts pour les réchauffer. Il fait quelques pas et l’idée de sortir de la cave lui vient. Il gagne la porte à tâtons ; dans l’escalier, il a peur d’un gros chien, qui aboie tous les jours quelque part sur les marches ; mais le gros chien est absent. Le petit continue son chemin, et le voici dans la rue.

Dieu ! Quelle ville ! Jusqu’ici il n’a rien vu de semblable. Là-bas, dans le pays d’où il est venu, voici quelque temps, il n’y avait, de nuit, dans chaque rue enténébrée, qu’une seule lanterne d’allumée. Les maisonnettes de bois, très basses, avaient, toutes, leurs volet clos. Dès qu’il faisait noir, il n’y avait plus personne sur la chaussée ; tous les habitants s’enfermaient chez eux ; on ne rencontrait que des troupes de chiens, des centaines de chiens qui hurlaient dans la nuit épaisse. Mais comme il avait chaud chez lui ! Et on lui donnait à manger là-bas ! Ah ! si l’on pouvait seulement manger, ici !

Mais quel bruit dans cette ville et quelle lumière ! Que de gens circulent dans cette clarté ; et tant de voitures et ce bruit qu’elles font ! Mais, surtout, quel froid, quel froid ! Et la faim qui le reprend… L’onglée lui fait un mal !… Un agent de police passe et détourne la tête pour ne pas voir le petit vagabond.

Voici une autre rue : qu’elle est large ! Oh ! il va être écrasé ici, bien sur ; ce mouvement l’affole, cette lumière l’éblouit !

Mais qu’y a-t-il là, derrière cette grande vitre illuminée ? Il voit une belle chambre, et dans cette chambre un arbre qui monte jusqu’au plafond. C’est l’arbre de Noël, tout piqué de petits points de feu ! Il y en a, là-dessus, des papiers dorés et des pommes, et des joujoux, poupées, chevaux en bois ou en carton ! De tous côtés, dans la grande pièce, courent des enfants parés, pomponnés. Ils rient, ils jouent, ils boivent, ils mangent ! Voilà une jolie petite fille qui se met à danser avec un petit garçon ;