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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

II


LE PETIT PAUVRE CHEZ LE CHRIST, LE JOUR DE NOËL.


Je suis romancier, et il faut toujours que j’écrive des « histoires ». En voici une que j’ai composée de toutes pièces, mais je me figure toujours qu’elle a dû vraiment arriver quelque part, la veille de Noël, dans quelque très grande ville et par un froid horrible.

Mon héros est un enfant en bas âge, un petit garçon de six ans ou de moins, trop jeune encore, par conséquent, pour aller mendier. D’ici à deux ans, toutefois, il est très probable qu’on l’enverra tendre la main.

Il se réveille, un matin, dans une cave humide et froide. Il est habillé d’une mince petite robe et tremble. Son haleine sort de sa bouche comme une fumée blanche, et il s’amuse à regarder la fumée sortir. Mais bientôt il souffre de la faim. Près de lui, sur un matelas mince comme une galette, un paquet sous la tête en guise d’oreiller, gît sa mère malade. Comment se trouve-t-elle ici ? Sans doute elle est venue avec son enfant d’un village lointain et a dû s’aliter presque en arrivant. La propriétaire du sinistre logement a été arrêtée depuis deux jours par la police. Les locataires se sont dispersés ; seuls, un marchand d’habits et une vieille de quatre-vingts ans sont restés ; le marchand d’habits est étalé sur le sol, ivre-mort, car nous sommes dans la période des fêtes. La vieille, peut-être une ancienne bonne d’enfants, se meurt dans un coin. Comme elle bougonne en geignant, l’enfant n’ose pas approcher de son grabat. Il a trouvé un peu d’eau à boire, mais il ne peut découvrir le pain, et pour la dixième fois, le voici qui vient vers sa mère pour la réveiller.

La journée se passe ainsi. Le soir arrive, et il n’y a personne pour apporter une lumière. Le petit s’approche encore du matelas de sa mère, tâte sa figure dans l’ombre