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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/169

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN
FÉVRIER
_______


I


LE MOUJIK MAREI


Je vais vous raconter une anecdote. Est-ce bien une anecdote ? C’est plutôt un souvenir…

J’étais alors un enfant de neuf ans… mais non ! J’aime mieux commencer à l’époque où j’étais un jeune homme de vingt ans.

C’était le lundi de Pâques. L’air était chaud, le ciel était bleu, le soleil éclatant brillait haut dans le ciel, mais j’avais du noir dans l’âme. Je rôdais autour des casernes d’une maison de force ; je comptais les pieux de la solide palissade qui entourait la prison.

Depuis deux jours la maison d’arrêt était en fête, si l’on pouvait ainsi dire. Les forçats n’étaient plus menés au travail ; beaucoup de détenus étaient ivres, des querelles s’élevaient de toutes parts ; on hurlait des chansons obscènes, on jouait aux cartes en se cachant ; quelques déportés étaient étendus à demi morts après avoir subi de mauvais traitements de la part de leurs camarades. Ceux qui avaient reçu trop de mauvais coups, on les cachait sous des pelisses de peau de mouton, et on les laissait se remettre comme ils pouvaient. On avait même plus d’une fois dégainé les couteaux… Tout cela m’avait plongé, depuis que duraient les fêtes, dans une sorte de désolation maladive. J’avais toujours eu horreur de la débauche, de la soûlerie populaires et j’en souffrais plus là qu’en tout autre lieu. Pendant les fêtes, les autorités